Les rues de Castelnave étincelaient de bannières blanc et or. Une clameur enfiévrée montait de la ville, soulignée par les cadences dansantes de flûtes et de violons. Du palais qui surplombait le spectacle, toute la population mondaine alentour s'était rassemblée sur la terrasse, et plus encore ; des diplomates venus des quatre coins du royaume, un afflux aristocratique tel que Lisabeth n'en avait jamais vu. Elle se sentait un peu oppressée, dans cette foule. Cette cohue était propice à tout genre de débordement.
Elle tira un peu sur son col monté de dentelles d'or. La chaleur n'aidait pas à apaiser son angoisse. Le déclin de l'après-midi commençait fort heureusement à rendre le soleil un peu plus tolérable. Ses doigts triturèrent le petit sac de satin cousu de pierreries qu'elle tenait en main, pour la énième fois ; il lui semblait attendre son tour depuis la nuit des temps.
Sans ordre apparent, les nobles se pressaient sur ce grand balcon avec un seul but : approcher la reine, et offrir leur présent au prince. En ce trois d'Arques 1477, Ange célébrait la révolution de sa première année de vie. Un exploit que trop peu ici considérait à sa juste valeur. Lisabeth ne savait que trop bien à quel point cette célébration aurait pu ne jamais advenir ; raison pour laquelle elle s'entêtait à patienter à en étouffer dans cette foule criarde. De par son rang mineur, et sans doute de par sa réputation, elle avait dû céder sa place à de nombreuses reprises à un noble plus influent, mais elle ne désespérait pas.
Enfin, à la faveur d'une accalmie – le ciel se teintait de rose, elle se faufila jusqu'à la reine Grâce. Comme toujours, la souveraine exhalait une élégance puissante. Le buste drapé de perles de sa robe blanche reflétait le soleil couchant en peignant une auréole irisée autour d'elle. Ange était assis sur le canapé brodé aux côtés de sa mère, l'air digne dans son costume immaculé. Ses bottes battaient l'air. Il était très conscient de la ferveur autour de lui et de l'attention toute particulière portée à sa personne, et sa figure ronde en rayonnait.
Lisabeth s'agenouilla devant eux.
— Mes hommages, salua-t-elle.
— Zaza, l'accueillit Ange avec un grand sourire.
Ses babillages prenaient forme, de plus en plus. Lisabeth l'avait entendu brailler « mama » une ou deux fois en s'adressant clairement à la reine.
— Joyeux anniversaire, Votre Altesse, souhaita-t-elle en lui rendant son sourire. Elle tendit son sachet satiné dont Ange s'empara aussitôt, hypnotisé par le scintillement des gemmes.
La reine observa son fils qui déballait le présent, un sourire sur ses lèvres charnues. Lisabeth avait choisi un petit soldat de bois, à la haute coiffe piquée d'une laine très douce qui rappelait les uniformes du début du siècle, monté sur un cheval aux ornements peints avec attention. Un présent très modeste pour un prince, mais elle se rappelait avoir possédé un jouet identique, dans son enfance, qu'elle avait tout particulièrement chéri. Elle espérait qu'il apporterait à Ange des souvenirs similaires. Le garçon attrapa la figurine entre ses mains et la secoua dans tous les sens, fasciné par les couleurs.
Grâce caressa la toison de boucles blondes de son fils. Elle paraissait incroyablement heureuse, une expression que Lisabeth ne lui avait jamais vu et qui resplendissait de chaque grain de sa peau, lui ôtant dix ans d'âge. Le vin pétillant qu'elle tenait dans sa coupe éclairait ses joues d'un rose agréable. Lisabeth réalisa que bien plus qu'elle encore, la reine avait redouté ne jamais vivre ce jour.
— Dit merci, mon cœur, enjoignit la reine.
— Si, se dandina l'enfant face à Lisabeth.
La jeune femme gloussa devant cette démonstration sans pouvoir se retenir. Si elle n'avait jusqu'alors jamais vraiment saisi ce que l'on trouvait d'adorable aux gamins, celui-ci était vraiment très mignon.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...