Chapitre 21 : Droit d'aînesse

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La jeune femme se figea sur le seuil, le souffle coupé.

— Que...

— Lisabeth, soupira-t-on, si fort qu'elle perçut à peine son nom au cœur du soulagement.

L'arme s'abaissa, révélant la figure d'Isaac qui la tira à l'intérieur et referma la porte derrière eux. Son cœur galopant toujours de panique, Lisabeth réalisa néanmoins l'état dans lequel se trouvait l'assistant de son père et écarquilla un regard effaré. Un hématome dessinait un monocle noirâtre sous son œil droit et une coulée de sang encore fraîche luisait sous ses narines, jusqu'à la commissure de ses lèvres. Une blessure à la tempe qu'elle ne parvint à discerner avait noyé ses cheveux d'écarlate ; en reposant son revolver, Isaac s'empara d'un linge, autrefois propre, et le pressa à nouveau contre la plaie.

— Que... que s'est-il passé ? expira Lisabeth, médusée par le spectacle.

Isaac s'adossa un instant contre la commode qui ornait l'entrée de la suite et ferma les yeux. Il ne résista pas quand la jeune femme attrapa sa main libre pour le tirer vers le canapé, sur lequel elle l'obligea à s'asseoir.

— On a voulu profiter de votre absence et de celle de votre père pour s'introduire ici, expliqua-t-il. Pour fouiller les lieux, sans doute. Ils devaient ignorer mon existence parce qu'ils ne s'attendaient manifestement pas à tomber sur quelqu'un.

Il lui résuma l'intrusion – deux hommes, le visage dissimulé par des foulards et peu de signes distinctifs hormis une carrure trapue qui, combinée à l'effet de surprise, avait failli avoir raison d'Isaac. Il en avait blessé un à l'épaule et avait échangé plusieurs coups avec le second avant que les cambrioleurs ne décident de battre en retraite. La facilité avec laquelle ils avaient abandonné la charge laissait sous-entendre qu'ils avaient initialement prévu de travailler dans la discrétion.

Ils étaient entrés et ressortis par le balcon du salon, ce qui signifiait qu'ils avaient soit escaladé les deux étages depuis les jardins royaux, soit qu'ils étaient descendus depuis les étages supérieurs. Dans tous les cas, l'effraction avait été préparée – et aidée depuis l'intérieur : il ne s'agissait pas d'un simple maraudage opportuniste. Lisabeth réfléchit à toutes les informations données par Isaac. L'Archeduc avait sûrement commandité cette intervention, sans doute dans le but de repérer si le carnet de notes se trouvait avec eux au palais. Était-ce ce que Jeremiah Ufiant s'était éclipsé du bal pour manigancer ? Ou s'était-il simplement lassé de la réception et avait-il décidé de se retirer dans ses propres appartements ?

— Isaac, vous connaissez un peu l'Archecomte d'Entrenat, n'est-ce pas ? demanda-t-elle, tout en laissant grincer ses dents les unes contre les autres de manière pensive.

Son interlocuteur hocha faiblement la tête.

— C'est un vieil ami de James.

— Que pensez-vous de lui ? L'imaginez-vous capable de s'être associé à l'Archeduc ?

Isaac posa sur elle un regard qu'elle aurait eu du mal à interpréter quelques mois plus tôt, mais qu'elle commençait à discerner comme « modérément étonné ». Elle lui adressa un hochement de tête pour l'encourager à répondre.

— Sans doute, admit-il, après un temps de réflexion. Je crois que Carnoz apprécie sincèrement votre père, mais il est ce genre d'homme pour qui ses intérêts priment sur toute autre affection.

Lisabeth acquiesça pour elle-même. Il ne lui paraissait pas extravagant de soupçonner une implication de l'Archecomte d'Entrenat. À l'instar de l'Archeduc d'Oslandres, la couronne l'avait gracié d'un ministère – les affaires internes pour Jeremiah Ufiant, la trésorerie pour Barthélémy Carnoz, si elle ne se trompait point –, ce qui, associé à leurs titres respectifs, en faisait les deux hommes les plus influents de la cour, ou presque. Un tel allié était indubitablement bénéfique pour l'Archeduc ; quant à l'Archecomte, ses enfants étaient un peu plus âgés que Lisabeth elle-même et la jeune femme pouvait tout à fait imaginer qu'on avait promis de les marier à Andrée ou Cyrus, une fois ceux-ci assurés de monter sur le trône. Elle retraça ses déductions à voix haute pour Isaac, qui ne parut s'enfoncer qu'un peu plus dans sa méditation à ces mots, et lui raconta sa poursuite de l'Archeduc au travers des corridors dissimulés. Elle ne mentionna toutefois pas sa rencontre avec Zecharie, parce qu'un instinct terrible lui fourmillait dans la nuque et qu'elle n'avait aucune envie de le formuler à voix haute.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant