Chapitre 27 : Passer aux aveux

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NB : chapitre pour public averti


La nuit avait refermé ses serres glacées sur la capitale de Tascanie. Le vent était tombé, le ciel dégagé laissait apercevoir le filet d'un croissant de lune, mais le souffle imperceptible de l'hiver mordait les chairs et matérialisait les respirations en volutes de fumée fantomatiques. Le hangar baignait dans une immobilité froide. Comme un certain nombre de bâtiments industriels en bordure de la ville, il avait été désaffecté suite à la révolution hydraulique et n'avait connu de présence humaine, en dehors d'occasionnels mendiants, depuis deux bonnes décades. Le voisinage dépeuplé et les convolutions labyrinthiques de l'intérieur de l'usine, entre cuves, passerelles et carcasses de machineries désossées, en faisaient un emplacement de choix pour la mise à exécution de la ruse du Vidomne d'Artemoires.

Les pieds d'Isaac soulevèrent la poussière qui encrassait le sol. Il avait exploré l'endroit au point d'en connaître l'architecture sur le bout des doigts et possédait l'avantage du terrain. La veille, quelques hommes étaient venus flâner aux alentours de l'usine – preuve que les indices abandonnés par James avaient trouvé receveur –, mais ils n'avaient osé pousser l'investigation jusqu'à l'intérieur. L'objectif n'était pas d'alerter le Vidomne d'Artemoires pour courir le risque qu'il annulât la transaction, au contraire. Isaac en avait conclu avec une certitude toute relative que les hommes qu'ils affronteraient ce soir ne devinaient que peu ce qui les attendait.

La principale inconnue de leur plan demeurait le nombre. Depuis le début de cette histoire, l'Archeduc s'était montré économe sur son personnel, sans doute parce qu'il craignait la traîtrise derrière toutes les portes ; le plus de subalternes dans la confidence, le plus de risques que l'un d'entre eux dénonçât la cabale à la reine. Malgré cela, ses moyens humains dépassaient toujours démesurément ceux du Vidomne. Isaac ne savait donc quelle ampleur prendrait la petite équipe mandée ce soir par leur adversaire. Il tablait hasardeusement sur cinq ou six subordonnés et priait pour avoir visé juste, parce que James et lui seuls n'auraient sans doute pas la capacité d'endiguer un nombre supérieur d'ennemis.

L'écho d'un coassement résonna à l'extérieur des tôles. Isaac s'immobilisa et tendit l'oreille. Il s'était plus tôt assuré la coopération d'un groupe de gamins des rues avec une somme d'argent suffisante pour leur permettre de subsister au moins jusqu'à l'hiver prochain. Les enfants s'étaient éparpillés dans les environs du hangar, attentifs. Un appel signifiait l'approche d'un intrus. Isaac écouta le silence, encore un temps. Les bruits lointains de la ville, ankylosés par la nuit. La mélodie atone de l'air froid. Un second bruit de batracien, plus proche, secoua le décor métallique.

Deux appels signifiaient que l'intrus en question avait l'air suspect et se dirigeait vers l'usine.

Isaac ajusta le silencieux sur son arme, jeta un œil à travers le verre poisseux qui lui offrait une vue plongeante sur l'entrée du hangar – personne, pour l'heure – et patienta. Il espérait que James était à son poste et se conformerait au rôle qui lui avait été dévoué. Il était toujours compliqué d'obliger le Vidomne d'Artemoires à suivre une stratégie pré-établie.

L'usine comptait deux entrées : celle qu'il surveillait actuellement, large et évidente et allotie aux livraisons, et un accès plus restreint à l'arrière qui avait dû servir aux allées et venues d'ouvriers. Il n'eut pas à attendre longtemps pour qu'un certain capharnaüm se fasse entendre en direction de la porte principale. Trois hommes poussèrent le lourd battant de fer sans se soucier de l'écho engendré. Isaac les soupçonna même de se prouver excessivement tapageurs juste pour le principe. Une distraction – la technique ancestrale du rabattage. Le jeune homme se glissa dans les ombres et suivit d'un pas silencieux l'avancée des intrus. Avant toute chose, les séparer.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant