Chapitre 48 : Les souris dansent

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Le clic délicat de la serrure frémit dans les ténèbres. Les contours de la figure de Silant, à peine visibles malgré sa pâleur, oscillèrent avec l'ouverture de la porte.

Elles se trouvaient assez loin de la capitale pour avoir abandonné l'éclairage au gaz depuis bien longtemps. Ici, recroquevillés dans l'échancrure entre l'Evelone et la Garante, les détails de la rue étaient avalés par la nuit. Quelques étoiles scintillaient dans le ciel estival, parcimonieuses, obstruées en majorité par l'écran dentelé des deux collines. Silant avait dissimulé ses cheveux flamboyants sous un tissu sombre et, dans l'obscurité, se mouvait avec la légèreté d'un fantôme.

Elle en avait huilé le métal, aussi la porte de l'entrepôt n'émit pas un grincement. L'aire de livraison avait été choisie comme accès en sachant que l'endroit demeurait désert lors des horaires de nuit. De larges coffres recouvert de tissus de lin s'entassaient dans le hangar silencieux, sécurisés par des chaînes. Elles progressèrent autour de ces obstacles avec prudence, malgré l'absence apparente de personnel. Silant s'accroupit derrière la protection de l'une des caisses, juste avant la porte qui menait aux parties principales de l'usine. Ses pas ne produisaient pas le moindre son ; son corps semblait à peine déplacer l'air autour de lui lorsqu'il avançait. Tous ses muscles, en revanche, paraissaient à l'affut de la moindre perturbation autour d'elle. Par contraste et malgré tous ses efforts, Lisabeth avait l'impression de se montrer terriblement bruyante. Chaque frottement de ses pieds sur le sol lui arrachait une grimace comme un crissement de craie sur l'ardoise. Devant l'absence d'alerte, elle se doutait pourtant être d'une discrétion raisonnable, mais la comparaison ne jouait pas en sa faveur.

— Écoute, murmura Silant.

Lisabeth fronça les sourcils mais étudia le silence. Au loin, amorti par l'épaisseur et le matériau des murs, on pouvait deviner si l'on se concentrait les échos de quelques voix, qui s'entremêlaient aux fracas métalliques ; une modulation parasite de l'arrière-plan, presque indistincte. Silant indiqua la direction opposée.

— Les bureaux des contremaîtres doivent se trouver par là. Ça correspond à ton plan des lieux, non ?

Lisabeth sortit son carnet de notes de l'intérieur de sa cape. Elle y avait griffonné un plan déduit des informations données par Michael, qu'elle orienta selon leur propre position. Avec une justesse redoutable, la porte qui menait au service patronal se tenait à l'endroit que désignait Silant.

— Je pense, murmura-t-elle en approchant son dessin de l'épéiste. – Regardez. Il devrait y avoir un escalier, et à l'étage, notre destination ?

Son interlocutrice leva un sourcil indifférent.

— La lecture c'est déjà pas mon point fort en plein jour, pèqua, alors là ? C'est à peine si je vois le bout de mes pieds. Je vais te croire sur parole.

Sans attendre, Silant se faufila vers la sortie. Sa main effleura le mur jusqu'à rencontrer la poignée de la porte, dont elle expérimenta doucement l'ouverture ; son poids retint le battant de métal, le déplaçant de quelques centimètres, sans un bruit. Contre l'interstice, elle écouta l'autre côté. Après plusieurs longues secondes, elle adressa un geste à Lisabeth, qui se dépêcha de ranger son carnet et de se redresser à sa suite.

— Maintenant, pas un mot, d'accord ? lui souffla Salomé, si bas qu'elle ne semblait pas émettre de son. Le coin devrait être vide la nuit et les zones de production sont assez loin pour qu'on ne rencontre personne, mais on peut pas s'en assurer.

Lisabeth jeta un œil dans l'espace entrouvert. Mangé par l'ombre, l'escalier qu'elle avait mentionné grimpait vers l'inconnu. Elle ne perçut aucun mouvement.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant