Chapitre 76 : La fille aux yeux vides

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Talma vit le démon quitter les lieux et attendit d'être certaine qu'il ne reviendrait pas avant de s'y hasarder.

Puisqu'il souhaitait tant la débusquer, elle agirait la première. Elle n'allait pas se recroqueviller au fond de son nid en attendant gentiment que l'on vienne la cueillir. Il avait déjà maltraité l'une de ses sœurs, enfumé son domaine et vendu les siens aux chiens de la reine. Tout cela méritait une réponse.

Pas de front, parce qu'il la terrorisait, ce qu'elle n'admettait qu'à contrecœur.

Il n'avait pas été facile de l'épier de loin, sans qu'il ne la remarque. Elle s'était d'ailleurs montrée plus prudente que ne l'exigeait la situation, mais elle ne souhaitait pas provoquer de nouvelle confrontation. Elle avait pourtant fini par trouver ce repère coincé dans la Citadelle, une maison de la surface qui ne payait pas de mine – celle qu'elle avait cherché pendant si longtemps en pistant Lisabeth. Cette dernière avait disparu du tableau depuis deux semaines mais l'instinct de Talma lui soufflait qu'elle la trouverait là. Le démon ne se tenait jamais bien loin d'elle.

Quelque chose clochait dans cette histoire. Quelque chose qu'elle avait déclenché, en s'introduisant dans le palais. Elle n'avait pas pu voir le prince, non, elle ne s'était pas attendue à y parvenir, même si elle aurait voulu pouvoir contempler sa splendeur divine.

Fini de jouer, lui avait dit son émissaire du ciel. Elle ne devait plus douter, se concentrer sur sa tâche. Le prince, rien d'autre. Cela incluait d'éliminer Lisabeth si celle-ci se dressait encore sur son chemin.

Suivant les ombres, elle se faufila sur le perron. Elle n'eut aucun mal à forcer la porte. La pièce était vide, ce qui l'arrangeait et l'agaçait en même temps. Elle sentait, elle savait qu'elle y trouverait Lisabeth. Leur lien immuable lui certifiait que son reflet se terrait là. Suis ton instinct, il t'est insufflé par Dieu.

Elle commença à fureter dans les méandres de la maison.

Rarement avait-elle observé un tel chaos. Les habitants de la surface s'attachaient décidément trop aux possessions matérielles. Des malles débordaient d'étoffes de toutes les couleurs et des colifichets s'entassaient dans les recoins. Il semblait impossible de retrouver quoique ce soit, dans ce cauchemar. Cela signifiait aussi un nombre incalculable de cachettes. Talma raffermit sa détermination. Elle y passerait le temps qu'il faudrait.

Elle ouvrit le premier coffre qu'elle trouva ; l'attention relâchée, elle ne s'aperçut pas du mouvement dans le coin de son champ de vision. Un hurlement sauvage retentit alors qu'une vive douleur lui déchirait la cuisse. Talma cligna des yeux, stupéfaite. Le manche d'un couteau de cuisine lui sortait de la jambe. Encore agrippé à l'arme, un enfant qui devait avoir six ou sept ans la regardait en montrant les dents, l'expression haineuse.

— Que... balbutia-t-elle.

Elle asséna au gosse une claque du dos de la main, qui l'envoya valdinguer à quelques mètres. Agacée, elle attrapa l'instrument et l'arracha de sa chair. Le sang lui dégoulina le long de la jambe sans qu'elle ne s'en inquiète. Il n'avait pas entaillé grand-chose avec sa lame émoussée et il n'avait pu toucher aucune structure vitale sur le côté de sa cuisse.

Une distraction désagréable.

Elle voulut retourner à son exploration des lieux mais cette petite vermine n'en avait pas eu assez à son goût et revint à la charge. Talma soupira lorsqu'elle sentit qu'on la tirait en arrière par sa tunique. Le gamin s'était redressé, la joue rouge et les yeux brillants, avec un regain de hargne dans son expression. L'un de ses bras était bandé, remarqua-t-elle : n'avait-il donc aucun instinct de survie ? On ne provoquait pas plus fort que soit, encore moins lorsqu'on était blessé, le plus stupide des animaux le savait.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant