La procession qui défila devant la boutique de Salomé ce matin-là attira l'intérêt méfiant de tout le quartier. Ce n'était pas souvent que l'on apercevait des membres de la garde royale descendre jusque dans la bassesse de la Citadelle. Leurs uniformes rutilants de blancheur, rehaussés de dorures, scintillaient étrangement contre la grisaille des murs de chaux salie.
Salomé croisa les bras sur sa poitrine en lorgnant le bourdonnement de soldats d'un air dégoûté.
— Fotra, si on m'avait dit que je verrais un jour un tel défilé devant chez moi...
Aife l'entoura de ses bras et lui frotta gentiment les épaules, en guise de soutien. Elle-aussi avisait les militaires avec une expression farouche. Lisabeth, elle, n'était pas fâchée de remettre Ange entre leurs mains et de se libérer enfin de cette responsabilité bien trop lourde dont elle n'avait jamais voulu. Le petit bonhomme, engoncé dans des vêtements de seconde main qu'ils avaient dû emprunter à des voisins, semblait le seul ravi de toute cette agitation. Perché dans les bras du capitaine Besquier, dont la contenance digne s'accordait mal avec le bout-de-chou enthousiaste qu'il avait dans les bras, Ange adressa un signe de la main énergique à Edie, en contrebas. Le plus vieux lui retourna son salut avec un sourire amusé.
— Il va quand même me manquer, avoua-t-il à Lisabeth.
La jeune femme se retint de lui faire remarquer qu'il avait la mémoire courte, puisque les garçons avaient passé leurs deux semaines de cohabitation à se chamailler sur toutes les octaves. Elle ébouriffa plutôt sa toison de boucles cuivrées en soulignant :
— Tu vas être bien plus tranquille, maintenant. Tu vas de nouveau avoir ta propre chambre.
Contre toute attente, l'évocation amena une expression contrariée sur le visage d'Edie.
— Mais je ne veux pas rester ici, protesta-t-il, je veux venir avec toi et Isaac.
La revendication prit la jeune femme de court. Elle jeta un regard désemparé à Isaac qui lui rendit une moue tout aussi incertaine, puis attira Edie à l'écart de l'attroupement royal.
— Nous pensons qu'il vaut mieux que tu restes ici encore quelques temps, expliqua-t-elle en s'accroupissant pour se mettre à sa hauteur.
— Tu m'avais dit que je pouvais choisir, ronchonna le garçon. Je veux venir avec vous !
— Oui, bien sûr que tu pourras choisir, et je t'accueillerai avec plaisir, Edie, mais pour l'instant... C'est encore trop dangereux, et tu es toujours blessé. Il faut que l'on règle quelques détails d'abord, Isaac et moi.
Elle lui exposa la situation avec de la supplication dans la voix, involontaire, mais elle ne voulait pas qu'il puisse croire qu'elle l'abandonnait. Pas à nouveau. L'effort ne leva pas la grimace boudeuse du garçon, qui rentra le menton dans sa poitrine pour fusiller le perron de la maison du regard.
— Mais je veux vous aider, se défendit-il. J'en suis capable. Je m'en fiche que ce soit dangereux.
Le cœur de Lisabeth se serra à cette idée.
— Moi, je ne m'en fiche pas.
— Mais j'ai déjà défendu le prince ! Je peux continuer !
— Edie, s'il te plaît, négocia-t-elle. Ce n'est pas raisonnable. Tu seras bien mieux avec Aife et Salomé, en attendant, et je continuerai à venir te voir, d'accord ? Je te promets de tout faire pour que tu me rejoignes le plus rapidement possible. Dès que cela sera prudent.
L'enfant répondit en tapant d'un pied rageur sur le sol.
— Edie, intervint Isaac. On a déjà eu cette conversation, tu te souviens ?
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Avant la pluie
FantasiaEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...