Lisabeth essora le linge dans le lavabo qui dégoulina d'un liquide encore rosâtre. La lèvre mordue sous la concentration, réflexe dont elle n'avait pas conscience, elle imprégna une nouvelle serviette d'eau tiède et la tamponna dans le cou d'Isaac, essayant de dissoudre les dernières croûtes de sang qui lui collaient à la peau. Le jeune homme s'était débarrassé de sa chemise souillée d'hémoglobine, ne conservant que son tricot de corps qu'elle avait à moitié trempé avec ses ablutions, la tête docilement tournée de côté. Il n'avait rien dit depuis qu'elle avait commencé à travailler, n'avait même pas protesté lorsqu'elle avait débarbouillé sa blessure avec l'acide carbolique qu'elle avait un jour « emprunté » à Morante sans aucune intention de le lui restituer. Elle posa un genou sur la chaise qu'il occupait pour stabiliser son œuvre.
— Vous êtes sûr qu'il n'y a pas besoin de suture ? insista-t-elle pour la troisième itération.
— Ça suffira, lui assura Isaac.
Il céda enfin à l'impatience, tournant le menton pour tenter d'apercevoir la cicatrice dans le miroir de la salle d'eau. Lisabeth le rabroua d'un claquement de langue et lui repoussa la joue dans la direction opposée.
— Tenez-vous tranquille.
— Je ne crois pas que l'on fasse plus propre, estima Isaac. Vous comptez laver cette plaie une trentième fois ?
— C'est à moi d'en juger, décréta-t-elle.
— Lisabeth, pour l'amour du ciel...
La jeune femme crispa les mâchoires et jeta brutalement son linge dans la céramique.
— Quoi ? souleva-t-elle avec humeur. Qu'y a-t-il ? Ne me dites surtout pas que vous allez survivre. Vous avez failli mourir devant mes yeux, Isaac, et ce n'est pas la première fois que cela arrive !
Un peu hébété par ce brusque éclat, il haussa pourtant les épaules et rassura :
— Je suis coriace.
— Vous n'en avez surtout rien à faire. Ça me rend folle ! Taisez-vous, maintenant, et laissez-moi prendre soin de vous, puisque vous êtes infichu de le faire vous-même.
Il se retint de répliquer en constatant la détresse qui mouillait ses yeux.
— D'accord, dit-il simplement.
Lisabeth termina sa besogne dans un silence écrasant. Les gazes empilées sur l'entaille, elle appliqua l'adhésif sans prendre la peine d'en défaire les plis. La blancheur vierge du pansement rasséréna un tout petit peu l'ébullition bilieuse qui la remuait.
— Pour un homme qui m'a si souvent prôné la prudence, vous êtes un bel hypocrite, siffla-t-elle tout de même entre ses dents.
— Nous nous occuperons de vos côtes ensuite, à ce propos.
Parce qu'elle venait de lui parler d'hypocrisie, elle ne put refuser en prétextant une absence de douleur et il le savait très bien. Elle se renfrogna, furieuse qu'il lui retourne ainsi son argument. Ce n'est pas le propos, avait-elle envie de lui dire, et : ce n'est pas pareil. Il s'essuya le visage pendant qu'elle se lavait les mains, sans échanger de contact.
— Je peux ? demanda-t-il après cela, en s'asseyant de nouveau sur sa chaise.
Lisabeth hocha la tête, la mâchoire toujours serrée. Elle se rapprocha de ses jambes, coincée par l'étroitesse de la pièce, et leva le bras comme il le lui indiquait en retenant le grognement que le mouvement lui imposa. La main d'Isaac lui cercla le flanc.
— Vous aussi avez failli mourir devant mes yeux, au cas où vous l'auriez déjà oublié, énonça-t-il doucement.
Il ne leva pas le regard, mais il y avait quelque chose de vulnérable dans son expression qui faillit la pousser à le pardonner sur le champ. Heureusement, il pressa ses doigts au même moment sur le relief de son os brisé et elle jappa de souffrance. La contrainte cessa aussitôt.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
