Il était ironique de se dire qu'aujourd'hui était l'anniversaire de Son Altesse le Prince Ange, deux ans tout frais, et qu'il le passait au fond d'un ancien cellier réaménagé à hurler toutes les larmes de son corps.
Lisabeth sentait monter l'envie fiévreuse de mettre le feu à la maison, égorger Ange, égorger Edie, s'égorger avec, tant que cela lui permettait de quitter cette situation. Elle frotta ses yeux qu'elle savait injectés de sang et tira sur la peau fragile de ses joues. La cohabitation forcée dans un espace si restreint avait eu raison de ses dernières miettes de rationalité. Parce qu'elle ne pouvait se résoudre à quitter Ange trop longtemps – s'il lui arrivait malheur, le moindre incident, la reine la dépècerait vivante –, elle se retrouvait affectée bien plus souvent qu'elle ne l'aurait souhaité à la garde du garçon. Que le ciel lui en soit témoin, prince ou pas, un enfant de deux ans avait une capacité vampirique à saper toute votre énergie en quelques instants à peine.
Edie s'était prouvé très tolérant face à la situation, elle devait l'admettre. Lui-même traversait une crise existentielle qu'aucun gamin de son âge n'aurait dû avoir à gérer, elle l'avait arraché à sa famille, son bras guérissait lentement, son nouvel espace vital qu'il s'appropriait tout juste s'était fait envahir par une créature morveuse et braillante. Il avait pourtant pris très à cœur son rôle de protecteur ; Lisabeth était reconnaissante de sa présence, parce que comme il l'avait prouvé, il était celui dans cette baraque qui s'y connaissait le mieux en gestion de bébé, ayant l'expérience de ses cousins. La jeune femme s'en voulait d'apprécier autant ce détail, lorsqu'elle savait qu'il l'avait acquis parce que ses anciens tuteurs l'avaient exploité jusqu'à la corne.
Malgré cela, il n'avait que sept ans, et les limites de maturité qui allaient avec.
Ange lui avait tiré un peu trop méchamment les cheveux ce matin-là pour « jouer » et Edie avait craqué, le repoussant avec une violence que n'exigeait pas la situation. Le prince s'était mis à pleurer, Edie à s'emporter, Lisabeth s'était sentie obligée de le réprimander parce qu'on ne levait pas la main sur l'héritier du royaume, pour l'amour du ciel, même si elle partageait secrètement son épuisement moral. Elle tentait encore de calmer la crise de larmes déclenchée par ce fiasco, pendant qu'Edie boudait dans son coin, blessé qu'elle ait pris la défense du bébé plutôt que la sienne.
Elle avait envie d'en jeter un par une fenêtre – s'effrayait ensuite de souhaiter cela à un enfant, et se prenait plutôt de l'envie de se jeter par la fenêtre.
Neuf jours. Elle n'en tiendrait pas un de plus.
Après quelques heures supplémentaires et une crise de nerf silencieuse qu'elle ravala par un miracle de patience qui ne lui ressemblait pas, Ange ferma enfin sa bouche et accepta de s'endormir. Elle en remercia toutes les entités supérieures de la création, celle de Talma et les autres, peu lui importait. La fatigue rendait le petit bonhomme irascible.
La pièce était sens dessus dessous. Lisabeth avait abandonné l'espoir de garder le lieu ordonné. Il s'agissait, à l'heure actuelle, du cadet de ses soucis. Elle-même portait une chemise froissée à la propreté douteuse et n'avait pas lavé ses cheveux depuis une éternité, sans doute. Difficile à dire. Elle perdait la notion du temps.
— Edie, appela-t-elle doucement.
— Quoi ? aboya le garçon depuis son coin de la pièce.
Elle esquissa une grimace peinée et se rapprocha de lui.
— Je suis désolée, murmura-t-elle en le prenant dans ses bras. Il résista un peu pour la forme mais finit par accepter l'étreinte. – C'est bientôt fini.
— C'est bon, je sais qu'il faut pas s'énerver, grogna l'enfant avec humeur. C'est le prince.
— Je suis énervée aussi, confessa Lisabeth.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
