Chapitre 41 : Les prestidigitateurs

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D'une manière ou d'une autre, la rumeur de la destruction de la machine s'était répandue à travers le palais. Lisabeth avait entendu de-ci de-là traîner le mot « impur » et se demanda si le second garde présent sur les lieux ce soir avait vendu la mèche, ou s'il était tout simplement impossible de préserver le moindre secret des yeux et oreilles affûtées des domestiques. Plus que le reste, l'émergence de ce simple mot dans les racontars de la cour l'inquiétait. C'était la légitimité entière du prince qu'il remettait en question, et les dégâts qu'il pourrait commettre une fois qu'il aurait dépassé les limites de la demeure royale lui laissait un arrière-goût amer de menace dans la gorge.

Elle préféra mettre ce malaise-ci de côté, en l'absence d'éléments supplémentaires. Son statut social de paria lui ôtait tout pouvoir d'influence sur les spéculations des nobles. Elle avait suffisamment de problèmes non résolus à l'heure actuelle.

Elle épousseta ses vieilles bottes contre la marche du perron de l'hôtel de son père et foula le carrelage impeccable de l'entrée, accompagnée par la lumière fraîche du petit matin. Il était peut-être trop tôt pour sa coutumière tasse de thé avec Josué, mais elle peinait à dormir. Elle avait passé ces derniers jours à tenter de retrouver Aife pour réaliser que Castelnave était une très grande ville, au sein de laquelle elle ne possédait ni allié ni informateur. L'ancienne pharmacie, à laquelle elle s'était rendue en désespoir de cause, avait évidemment été délaissée par tout élément incriminant et affichait encore l'édit de confiscation sous autorité royale placardé sur sa porte. Lisabeth ne s'était pas tentée à retourner au Théâtre, inquiète que Duchesse l'égorge pour de bon, cette-fois-ci, ou qu'elle ne tombe sur une figure moins disposée que celle de Ric. Découragée par ces échecs auxquels elle n'entrevoyait aucune solution, elle avait évité lâchement tout contact avec la Reine, de peur que son manque de progression ne lui fût reproché.

Elle lâcha sa cape courte sur l'un des meubles du grand salon et poursuivit jusqu'à la cuisine. Le battant supérieur de la porte qui menait au jardin était ouverte, et la bise réchauffée qui glissait dans le courant d'air souleva gentiment les boucles rebelles de la jeune femme. Elle se retourna.

Aife se tenait dans le coin de la cuisine, les placards ouverts que sa haute taille inspectait sans peine. Lisabeth recula en sursautant et se tordit la cheville contre la cuisinière, à laquelle elle se rattrapa de justesse pour ne pas se casser la figure. Peu émue par le bruit, l'apothicaire décala une rangée de céramique, fronçant son nez ourlé.

— Ces barbares de Tascans ne boivent décidément que cette saloperie de thé, grommela-t-elle en retournant l'une des tasses avec un air circonspect.

— Vous ! s'étrangla Lisabeth.

Aife se retourna, un pot à tisane à la main, et écarta les bras dans une parodie de révérence un peu fataliste. Elle portait, contrairement à ses habitudes, une jupe d'un vert sombre qui tombait sous ses chevilles et bruissait avec chacun de ses mouvements.

Lisabeth se redressa tant bien que mal, courbée par la stupéfaction.

— Que faites-vous ici ?

— Mon petit doigt m'a soufflé que tu me cherchais. Dis donc, Eliance, je croyais t'avoir dit de ne plus jamais me contacter.

L'accusée eut du mal à trouver que répondre. En effet, menacées par les fusils des mercenaires de l'Archeduc, elles s'étaient séparées sur cette seule consigne. Et la décence aurait voulu que Lisabeth tentât de la respecter, après avoir poussée l'apothicaire dans le danger et l'avoir dépouillée de son logement et toutes ses possessions. Le visage d'Aife émoussa ses allures sardoniques, s'adoucissant discrètement.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant