Elle se réveilla aux aurores avec une sensation misérable.
Lisabeth se redressa dans son lit en sentant tous les muscles de son ventre grincer de désaccord. L'effort lui donna presque un vertige, qui se répandit dans sa poitrine et dans ses jambes. Une averse vagissait au dehors depuis la veille, ce qui éteignait toute luminosité. Malgré tout, elle constata les draps trempés de sang autour d'elle ; cela expliquait pourquoi elle se sentait si mal. Elle grogna d'ennui et se traîna péniblement jusqu'à la salle d'eau.
Ses menstruations s'étaient espacées depuis son arrivée à la capitale jusqu'à même se raréfier pendant plusieurs mois, ce qu'elle n'expliquait pas vraiment mais dont elle ne se plaignait pas. En guise de rétribution, quand elles la frappaient finalement, les crampes n'en étaient que plus insupportables. Elle grogna à nouveau en balançant ses bas souillés dans le bac de la baignoire, siffla un fotra douloureux – elle comprenait la passion des habitants de la Citadelle pour cette injure ; elle la trouvait très cathartique – et s'appuya sur le lavabo en marbre en espérant que les spasmes de son bas-ventre allaient finir par refluer. Vraiment, elle n'avait pas besoin de ça.
Elle subit la journée avec une mine de cadavre réanimé, au point où Morante suggéra de la doper à la codéine, lorsqu'il en eut marre de l'entendre geindre des grossièretés en boucle. Elle accepta presque.
Il plut des cordes sans discontinuer jusqu'à la nuit. Les gouttes tombaient si dru qu'elles vous criblaient comme des balles. Lisabeth était convaincue qu'elle se découvrirait des ecchymoses sur les épaules, le lendemain ; en l'état, elle traversa le perron de Destastres détrempée jusqu'à la moelle, le manteau imbibé d'eau qu'elle fut contrainte d'enlever, les cheveux détendus de manière pitoyable sur ses épaules. Apitoyé par son allure pathétique de chaton noyé, l'industriel l'enroula dans une grande serviette de coton façonné et lui frotta les épaules, puis la nuque. Lisabeth ne sut par quel miracle elle se retint de lui planter ses ongles dans les bras pour lui arracher la peau. Fotra, quelle journée de merde. Elle n'avait vraiment aucune envie d'être ici. Elle n'en avait jamais eu l'envie mais ce soir-là atteignait des sommets. Bêtement, elle avait espéré que l'accès à la demeure de Destastres lui ouvrirait les portes nécessaires, et que cette affaire se règlerait proprement. Elle pourrait alors sevrer ce lien sordide avec l'industriel et oublier toutes les fois où elle l'avait autorisé à lui caresser le bras en ravalant sa nausée pour le bien commun. Il pourrirait en prison et il lui livrerait l'Archeduc, de quoi expier son abjection. Bien sûr, rien n'était aussi simple. Plus les occasions se répétaient, et moins elle se sentait le courage de poursuivre ; il le fallait pourtant, si ce n'était pour ne pas avoir enduré toute cette souillure en vain. Grelottante, elle retint son envie de pleurer de rage et plaqua son sourire le plus générique sur son visage, pour faire semblant d'écouter ce que lui racontait Destastres. Ses entrailles l'écartelaient. Elle se plia dans le canapé dès qu'elle en eût l'occasion.
Destastres avait insisté pour la traîner dans un restaurant avant de rentrer chez lui. Lisabeth avait à peine touché son plat. Son compagnon indésirable, lui, ne s'était pas restreint sur la boisson et affichait depuis une hilarité joyeuse, un peu trop débridée, qui l'effrayait presque. Il gardait une excellente contenance – plus que son père, qui avait l'ivresse pathétique – mais elle lisait la rougeur de sa peau sous sa barbe orange, sa voix un peu trop forte, le léger empâtement dans ses dernières syllabes.
— Ciel, vous êtes trempée, déplora-t-il en lui frictionnant encore les bras. Vous n'allez tout de même pas rentrer par ce temps, ma canne. C'est la pneumonie assurée.
— Et que proposez-vous, alors ? rétorqua-t-elle d'un ton accusateur.
Elle se retint de grimacer. Un peu trop agressif. Fort heureusement, peut-être grâce à l'alcool, Destastres l'ignora.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...