Chapitre 71 : Une main tendue

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Jeremiah Ufiant se dirigea à grandes enjambées agacées vers la terrasse des jardins privés de la reine. Après une telle nuit, la dernière chose qu'il souhaitait était bien de supporter les humeurs de Grâce. Et il avait fallu qu'elle le fasse appeler aux aurores, par-dessus le marché, parce qu'elle savait qu'il se levait aussi tôt qu'elle.

Pour tout dire, cette fois-ci, il ne s'était pas couché. Il fulminait bien trop pour cela.

Il ruminait encore quand il se présenta devant sa sœur. Le soleil très doux du matin planait au ras des collines et s'échouait sur les joues pâles de Grâce. Assise à une petite table ovale dont le parasol demeurait replié, elle trônait devant une tasse déjà remplie de thé, qu'elle laissait refroidir, et une coupelle garnie de tranches de fraise. Jeremiah s'inclina vaguement d'elle, puisque le protocole attendait cela de lui. Il n'essaya pas de modifier l'expression d'ennui absolu qu'il savait porter sur ses traits. Puisqu'elle croyait avoir mainmise sur son emploi du temps, elle constaterait au moins ce qu'il pensait de ses convocations.

— Assieds-toi, dit-elle sans se lever, sans lui rendre son salut, ni même le regarder dans les yeux.

Peut-être rêvait-il, mais il trouva son accent un degré plus froid que d'ordinaire. Difficile à dire, lorsqu'elle se comportait toujours comme une garce hautaine, parce qu'elle confondait cela avec une véritable attitude altière. Il était un temps où elle l'accueillait toujours d'un baiser sur la joue, par respect des convenances plus que par réelle affection, soupçonnait-il ; elle avait cessé depuis et il ne s'en plaignait pas. Même si cela signifiait qu'elle ne daignait plus dissimuler le mépris qu'elle lui portait.

Par esprit de contradiction, il demeura d'abord debout, appuyant ses mains sur le dossier de la chaise vide.

— Que me vaut l'honneur ? pressa-t-il, désireux de couper dans le vif du sujet.

Grâce leva vers lui un coin d'œillade contrariée.

— Assieds-toi, réitéra-t-elle, et cette fois, l'inflexion était celle d'un ordre.

Il dut abdiquer devant l'autorité royale. Exaspéré d'un cran supplémentaire, il tira la chaise et prit place en face de sa cadette. Ses bras se croisèrent sur son torse tandis qu'il la vrillait d'une attention impatiente. Grâce elle-même prit son temps, soufflant d'abord sur sa tasse, sans se préoccuper de lui, avant de retrousser son nez et de le regarder enfin dans les yeux.

— J'aimerais te parler de Lisabeth Eliance, déclara-t-elle.

Jeremiah demeura coi un instant de cette annonce impromptue. Le ciel devait se moquer de lui. Il n'envisageait que cette explication. Par quel autre tour du sort cruel sa sœur voudrait-elle discuter de cette peste, aujourd'hui ? À moins que Grâce n'ait eu vent des évènements de la nuit... ? Il balaya cette suspicion idiote. Lisabeth n'avait pu le devancer au palais, il savait de source fiable qu'elle n'y avait pas encore mis les pieds.

— Par pitié, Grâce, dis-moi que tu plaisantes.

— Je n'ai pas l'air sérieuse ? répondit la reine de son visage fermé.

— Tu m'as fait venir, à cette heure, pour parler de cette enfant mal élevée ?

— Je veux savoir ce que tu lui as fait.

Jeremiah s'étouffa avec le vide. Alors celle-ci, c'était la meilleure.

— Ce que je lui ai fait ?! s'outra-t-il. Je crois rêver... !

— Tu dois bien lui avoir fait quelque chose pour qu'elle te haïsse autant.

L'austérité de sa sœur lui fit lever les yeux au ciel. Elle disait en effet tout cela sans la moindre note d'humour. L'Archeduc émit un claquement de langue irrité :

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant