Chapitre 78 : Le jeu de l'oie

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Les quelques rais de soleil qui filtraient à travers le bois des volets la réveillèrent. Une touffeur dense congestionnait la chambre malgré la jeunesse du jour, et la chaleur que dégageait le corps collé contre son dos n'aidait pas. Le bras d'Isaac l'enveloppait toujours, lesté par la léthargie. La régularité de son souffle s'échouait à la naissance de la nuque de Lisabeth. Il devait encore dormir.

L'étreinte était étrangement confortable. La jeune femme n'avait pas envie d'en sortir. Malgré la température, elle songea qu'elle n'aurait sans doute aucun mal à s'y habituer. La fin de nuit avait été réparatrice : contre toute attente, le sommeil l'avait écrasée très vite et elle n'avait plus émergé jusque-là.

Un frisson plaisant la saisit lorsqu'un baiser lui chatouilla l'épaule. Elle sourit alors qu'un second se perdait dans son cou et se tortilla pour se retourner. Isaac l'observait d'un air amusé, la tête encore enfoncée dans le matelas. Ses cheveux noirs mal rangés lui tombaient dans les yeux.

— Bonjour, chuchota-t-elle.

— Tu as réussi à te reposer ?

— Oui, je recommande. La compagnie n'est pas désagréable.

Il esquissa un rictus en glissant sa main autour du flanc de la jeune femme, pour la ramener contre lui.

— Ben tiens, pouffa-t-il. Tant mieux, parce que je n'ai plus envie de dormir seul, maintenant.

— Élégant, railla Lisabeth dans un reniflement sceptique. Tu dis ça à toutes les personnes que tu mets dans ton lit ?

Il s'abstint de répondre pour lui embrasser la joue, puis la gorge à nouveau, à la jonction avec sa clavicule. Lisabeth étouffa ses quolibets. La bouche qui flânait sur sa peau lui brûla la poitrine, d'une contraction agréable qui dégringola lascivement dans les profondeurs de son ventre. La caresse des doigts d'Isaac lui surlignait la hanche, à travers le tissu fragile de sa robe de nuit, et elle se sentie mordue par l'envie brute qu'il continue de descendre sa main. Elle se demanda comment elle y réagirait. Depuis que Zecharie se l'était permis, l'idée qu'on la touche de cette façon ne lui suggérait pourtant qu'un dégoût insipide. Même seule, le souvenir l'écœurait, interrompant très vite toute tentative.

L'attention d'Isaac se borna pourtant à cette modestie. Avec un dernier baiser, il lui abandonna la tâche d'assoupir l'impatience qu'il avait réveillée, sans entendre la frustration dans son bref soupir.

Elle se retourna en travers du lit, posant son menton sur ses bras pour continuer à le regarder. La luminosité inconstante effleurait le dos du jeune homme, dans un contraste qui avivait le brun de sa peau. Le dessin de ses épaules, jusqu'à ses vertèbres, était meurtris d'une multitude de stries blanchâtres, de fines entailles presque invisibles selon l'angle et le reflet du soleil. La gorge nouée, Lisabeth se redressa pour se hisser au bord du lit, derrière son compagnon. Elle frôla les lignes qui raturaient son omoplate d'une main hésitante. Certaines avaient le grain irrégulier, plus creusé, témoins anciens d'une cicatrisation difficile. Il ne frémit pas du contact, inclina simplement la tête pour observer ce qu'elle faisait.

— Ce n'est pas sensible ? s'inquiéta-t-elle.

— Plus depuis longtemps.

Peinée, elle l'entoura de ses bras et posa sa joue contre sa nuque. Il présentait d'autres balafres éparses, moins vieilles et moins tristes ; Lisabeth reconnut la ride pâle et laide au bas de son ventre qui marquait la lame l'ayant poignardé à Artemoires. Contre sa dernière cervicale, scindés en deux par la trace du fouet, elle remarqua quelques traits d'encre ternie, rendue grise par les années. On aurait dit un croissant de lune grossier imbriqué dans un soleil, traversé d'une dague.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant