Lisabeth entendit des pas précipités à l'extérieur et reposa sa lecture. Livrée à son angoisse, elle avait d'abord arpenté la maison de pêcheur en tous sens ; puis, épuisée, elle s'était rappelé le carnet dérobé à son père et avait songé qu'elle y trouverait peut-être un plan des rues d'Aiguerouge, quelque chose – une aide, un indice. Autant mettre son larcin à profit.
À la place des cartes et des récits d'aventure attendus, elle avait découvert une profusion de notes incompréhensibles. Quelques calculs, énormément de schémas, qui paraissaient représenter une machine débordante de tuyaux dont elle n'imaginait pas l'utilité. Elle ne comprenait pas si les annotations avait été rédigées dans un autre langage ou si l'écriture était simplement trop courbée pour qu'elle parvienne à la déchiffrer.
Elle avait inspecté la couverture plus en détails. Après réflexion, il ne s'agissait pas du même carnet que celui aperçu tantôt entre les mains de son père. Les deux livres se ressemblaient beaucoup, mais la couleur de celui-ci tirait plutôt sur le brique, et les pages, bien que jaunies, paraissaient moins aisément détachables que les feuilles volantes qui parsemaient le journal de bord de son géniteur.
Elle en était à se demander ce qu'elle avait chapardé, exactement, lorsqu'elle entendit le bruit derrière la porte. L'adrénaline grimpa en flèche dans son corps. Elle bondit sur ses pieds et posa sa main sur le petit revolver emprunté dans le bureau du vidomne, à Artemoires – elle ne savait toujours pas s'en servir. Il faudrait qu'elle persuade Isaac d'y consacrer l'une de leurs leçons.
Au moment où elle songeait à l'assistant, celui-ci ouvrit la porte à la volée et ils se retrouvèrent tous deux face à face, dans le salon étroit. Lisabeth expira un souffle tremblant de soulagement.
— James, pressa aussitôt Isaac. Où est James ?
— Il est parti. Je suis désolée, Isaac, j'ai vraiment essayé de le retenir, je vous le jure, mais il...
— N'en fait qu'à sa tête, acquiesça l'homme avec un grondement excédé.
Il enfouit une main dans ses cheveux et Lisabeth discerna distinctement qu'il se retenait de hurler de frustration. Le secrétaire, d'ordinaire si composé, s'était crispé sous ce que la jeune fille interpréta avec un peu de retard comme une cruelle inquiétude.
— Isaac, que s'est-il passé ? quêta-t-elle en sentant la crainte la gagner à son tour.
Dans quoi son père s'était-il encore fourré ?
— J'ai retrouvé nos poursuivants, l'informa l'assistant d'un ton distrait – il semblait avoir oublié qu'il n'était pas censé la mettre dans la confidence et Lisabeth se garda bien de l'interrompre. – Plusieurs groupes sont sur nos traces. Ils semblaient agités par la rumeur que leur cible avait été récupérée, qu'il n'y avait plus lieu de demeurer en ville, et j'ai immédiatement été pris d'un très mauvais pressentiment...
L'homme s'immobilisa soudain et vissa son regard sur la jeune fille, qui tressaillit devant l'intensité de l'attention. Le carnet, réalisa-t-elle. Abandonné dans sa main libre. C'était le carnet qu'Isaac fixait comme si la lune venait de s'écrouler sur sa tête.
— Lisabeth, qu'est-ce que vous lisez ? expira-t-il.
La jeune fille sentit ses joues s'échauffer à une vitesse folle. Elle baissa les yeux, incapable de soutenir le noir perçant des iris d'Isaac.
— C'est... je... je voulais jeter un œil aux récits d'aventure de mon père mais...
L'assistant s'était rapproché, l'air toujours aussi stupéfait. Lorsqu'il tendit la main, Lisabeth n'hésita pas trop à lui donner le calepin. Isaac l'ouvrit et en consulta quelques pages avant de laisser son bras retomber le long de son corps, sonné. Il souffla :
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Avant la pluie
ФэнтезиEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...