— Lisabeth, veux-tu m'accompagner visiter mon cousin ?
L'interpellée se tourna vers Andrée, surprise. Le déjeuner terminé, elles venaient de se rencontrer, comme elles en avaient pris l'habitude ; leur intention première était de sortir admirer les jardins d'hiver, l'occasion de s'aérer tant le corps que l'esprit, mais la pluie monocorde qui s'abattait en rideau depuis le matin les avait convaincues de reporter leurs plans.
— Ton cousin ? releva Lisabeth.
— Ange, le petit prince. Il est tellement adorable. Minuscule, je n'ose même pas le toucher.
La jeune femme haussa les sourcils.
— J'ai... ai-je vraiment le droit de voir le prince ? s'ébahit-elle.
Andrée se fendit d'un sourire crâne en attrapant le bras de sa compagne.
— Un des privilèges à être mon amie. Allez, viens !
Les appartements royaux, situés au quatrième et dernier étage du palais, occupaient une surface considérable et Lisabeth ressentit un léger vertige en essayant de retenir comment naviguer ce labyrinthe éléphantesque sans se perdre. Non pas qu'elle comptait fréquenter souvent le nid intime de la couronne, ou revenir s'infiltrer seule sur les lieux, mais elle avait à l'esprit que connaître le chemin jusqu'à la chambre du prince pourrait s'avérer utile en cas d'urgence drastique, au vu du complot qu'elle s'affairait à déjouer.
La pouponnière du prince était plus large que la propre chambre de Lisabeth à Artemoires. De grandes fenêtres bien exposées déversaient une lumière agréable dans la pièce, équipées d'un système de miroirs qui permettait de démultiplier et détourner les quelques rayons du soleil en direction du plafond, où ils peignaient des ombres argentées apaisantes. Un mur entier au fond de la chambre se substituait aux portes d'une armoire gigantesque, peintes d'une fresque haute en couleurs qui retraçait les aventures d'un chevalier, d'un dragon, d'une princesse et d'une magicienne. Une arche autorisait ensuite le passage vers une alcôve presque aussi vaste que la pièce principale, emplie de peluches et de jouets si richement ouvragés qu'ils paraissaient destinés à la décoration plutôt qu'à l'usage. Le prince était de toute façon trop jeune pour s'amuser avec de tels présents. Lisabeth songea avec un pincement au ventre qu'il ne grandirait peut-être jamais assez.
Le berceau était le seul équipement de la chambre construit à taille humaine. Magnifiquement sculpté et brodé de soie, il ne dépareillait pourtant pas parmi les splendeurs du reste de la pièce. Sa tête se prolongeait d'un portique en ébène maillé d'ivoire, qui représentait divers poissons et coquillages façonnés avec un souci fascinant de réalisme.
La chambre n'était pas vide. Assise sur la chaise aux côtés du berceau, la reine Grâce, le port toujours altier malgré les cernes qui ombraient son teint cireux, tenait le prince dans ses bras gantés de satin. Sa tête était penchée vers le petit enfant, ses cheveux diaphanes défaits tombant sous le mouvement devant son visage, illuminés par les reflets des miroirs enchâssés dans les fenêtres. Aucun son ne filtrait dans la pouponnière, mais l'on pouvait discerner la mimique active de ses lèvres pâles, comme si elle murmurait des mots apaisants à son fils. La scène semblait presque irréelle, suspendue dans un temps et une lumière alternatives, impossible à briser.
Même Andrée se défit de son habituelle pétulance pour entrer dans la pièce, lorsque les gardes autorisèrent les deux adolescentes à pénétrer le sanctuaire. La fille de l'Archeduc s'avança à pas mutiques, s'immobilisa à distance raisonnable du berceau et plongea dans une profonde révérence, que Lisabeth imita derrière elle.
— Votre Altesse, chuchota la nièce de la reine.
Celle-ci leva vers les deux intruses un regard que la lassitude rendait ennuyé.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
