Chapitre 6 : Pied de guerre

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Quand le vidomne daigna regagner ses appartements, il semblait s'être calmé. Même si Lisabeth connaissait peu son père, elle possédait assez d'instinct pour deviner qu'il ne s'agissait que d'une façade, qu'il bouillonnait encore de l'intérieur.

— Très bien, trancha le vidomne en pointant un doigt menaçant vers elle. Très bien, tu restes. Mais si tu souhaites nous accompagner, tu devras dès à présent obéir à chacun de mes ordres, Lisabeth. Je n'endurerai plus la moindre insolence.

La jeune fille se retint sagement de répliquer.

— Et tu apprendras les concepts les plus basiques de survie. Je ne veux pas d'un poids mort dans mon équipe. Isaac se chargera de combler tes lacunes.

L'assistant n'eut aucune réaction à cette annonce. Lisabeth se demanda s'il s'agissait d'une punition pour avoir pris le parti de sa fille devant elle. Avec un reniflement renfrogné, le vidomne marcha jusqu'à la table basse, au centre des sièges occupés par son secrétaire et sa fille, pour y abattre un épais carnet de cuir. Lisabeth s'approcha de plus près malgré les volutes d'irritation qui s'échappaient de son géniteur, guidée par sa curiosité. Lorsque son père ouvrit le carnet, elle put entrapercevoir un certain nombre de cartes du pays, quelques pages noircies par une écriture affinée. Elle se demanda quels secrets renfermait ce qui était sans nul doute le journal d'exploration de son père.

— Il faut que nous changions de trajectoire, informa le vidomne. Ne t'es-tu pas demandé pourquoi nous avions laissé courir aussi ouvertement le bruit de notre destination, Lisabeth ? Nous tentions d'attirer nos poursuivants loin d'Artemoires. Loin de toi.

La réalisation s'infiltra dans l'esprit de la jeune fille, qui se redressa, frappée. Elle n'avait même pas songé à cette possibilité.

— Objectif qui s'est vu renversé par tes brillantes actions, n'est-ce pas, grommela le vidomne. Il ne s'agit plus désormais d'attirer ces rapaces sur nos traces, mais de leur échapper. Nous ne pouvons demeurer plus longtemps à Bémont-Carnac.

Son assistant esquissa un sourire las.

— Eh bien, cela était prévu, heureusement. Les arrangements ont été faits. Nous pouvons partir pour Aiguerouge à tout moment.

La grimace du vidomne se fit insatisfaite, bien que résignée.

— Cela nous éloigne encore de la capitale... remarqua-t-il.

— La capitale est inenvisageable pour l'heure, James, rappela le secrétaire. Je ne peux pas assurer tes arrières si tu t'acharnes à te jeter tête la première dans un coupe-gorge.

Le vidomne leva un sourcil orageux en direction de son second, qui conserva docilement le silence mais ne détourna pas le regard. Lisabeth s'interrogea sur cette familiarité qu'elle découvrait entre les deux hommes. Comment avait-elle pu passer à côté ? S'étaient-ils toujours comportés de cette façon ?

Pourquoi désiraient-ils éviter la capitale ? Craignaient-ils la reine ? L'armée ? Les théories farfelues des domestiques sur les événements d'Artemoires revinrent à l'esprit de Lisabeth, et elle se demanda si son père n'était pas réellement passé de l'autre côté de la loi...

— Aiguerouge, confirma James Eliance, à regret. Nous nous éloignons de mon périmètre d'influence, mais nous y passerons plus facilement inaperçus.

Isaac acquiesça et poussa sur les accoudoirs du large fauteuil pour se remettre debout. Lisabeth le scruta avec attention. Si le geste lui fut laborieux, il le dissimula bien. La jeune fille rechignait un peu à remettre son destin entre les mains de cet homme s'il ne s'avérait pas entièrement opérationnel.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant