Michael de Talemarne passa une main fatiguée sur sa nuque dans l'entrée de son bureau. Assise sur le fauteuil en cuir réservé à ses clients, la fille du Vidomne d'Artemoires avait croisé les bras sur sa poitrine, la colonne très droite, et l'attendait avec une expression sévère qui n'était pas sans lui rappeler celle de sa belle-mère. Il ne pouvait pas se prétendre surpris de cette intrusion fâcheuse : son secrétaire l'avait prévenu, et, poussé par une folie passagère inexplicable, il avait accepté cette entrevue improvisée. Il songea juste qu'il était bien trop tôt pour les contrariétés.
— Mademoiselle d'Artemoires, soupira-t-il en entrant dans son office.
L'adolescente se leva d'un bond et se tourna vers lui en entendant sa voix. Il coupa sa tentative de salut d'un vague geste de la main.
— Je pense que je me serais souvenu vous avoir inscrite à mon calendrier, souligna-t-il d'une voix lasse en allant prendre place de l'autre côté de son bureau. Il l'invita d'un geste à s'asseoir.
— Vous êtes ici, j'en déduis que vous acceptez de me recevoir, lui répondit-elle avec la même insolence qu'il lui avait remarquée lors de leur unique interaction, quelques mois plus tôt.
— Ma curiosité me perdra, regretta-t-il.
Il croisa ses jambes devant lui et évalua la situation pendant un instant. Contrairement au reste de l'aristocratie, il n'entretenait aucun sentiment particulier envers James Eliance, qu'il fût positif ou négatif ; l'homme n'œuvrait pas dans la même cour, et ils n'avaient jamais été amenés à faire affaire. Son différend avec Sezaret le lui rendait peut-être vaguement sympathique, lui-même s'étant déjà heurté aux rustres de cette famille. Si le cadet avait été un ami de Louise, et malgré tout le respect qu'il vouait à sa femme, il concevait sans mal que le garçon eût commis l'agression dont l'accusait la fille Eliance.
Malgré cela, et malgré son manque de patience pour les commérages, il en avait assez entendu pour savoir que Lisabeth d'Artemoires semblait attirer les problèmes comme le miel charme les mouches. Avec le climat actuel du palais – les murmures sur le compte du prince, l'humeur de la reine, le vandalisme dévot qui réveillait les inquiétudes enfouies des plus pieux d'entre eux –, la jeune fille comptait parmi ces fréquentations que la sagesse réprouvait. Sans oublier l'aversion catégorique que lui portait Louise, elle qui avait pourtant autrefois chanté ses louanges ; ou les rumeurs qui avaient couru sur sa propre prétendue liaison avec elle, comme s'il était le genre d'homme à lorgner sur les demoiselles à peine adultes.
Michael se massa le front d'un geste préoccupé. Vraiment, il aurait dû dire à Simon de la mettre à la porte.
— Dites-moi ce qui vous amène, invita-t-il. Je n'ai malheureusement que peu de temps à vous accorder.
— J'ai un marché à vous proposer.
Elle se pencha vers lui, incisive, en dépit de son allure chétive au fond de ce fauteuil qui l'avalait toute entière. Michael sentit ses sourcils se hausser. Il n'était pas homme à paresser au lit mais il avait soudain très envie de retourner se coucher.
— J'avais oublié votre investissement dans la finance, ironisa-t-il.
— Je pense que vous y trouverez votre intérêt, assura-t-elle. Je me souviens vous avoir entendu professer votre antipathie envers Sylvien Destastres.
Voilà un nom qu'il ne s'attendait pas à entendre dans cette conversation. Il se renversa contre le dossier de son fauteuil et salua :
— Antipathie est une locution extraordinairement élégante. Vous avez raison, Mademoiselle Eliance, j'exècre cet homme et tout ce qu'il représente, sur un plan fondamental.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...