— Tu te fous de ma gueule ?! pesta Morante à voix basse.
Il avait passé un pantalon et des chaussures en hâte ; sans chaussette, le tricot de corps froissé, il était exposé à l'air souple de la nuit, que l'été émaillait heureusement d'une tiédeur délicate.
— S'il te plaît, expira Lisabeth en s'accrochant à lui de sa main libre ; l'autre ployait toujours sous le poids de Salomé, qui chavirait dangereusement. – Il faut la sauver.
— Non mais tu me prends pour qui ?! Je suis pas magicien ! Putain, mais celle-là, c'est quand même la meilleure !
— S'il te plaît, répéta la jeune fille.
Elle sentit quelques larmes dégringoler ses joues à nouveau, elle qui pensait pourtant ses yeux asséchés depuis qu'elles avaient quitté l'usine. Morante suivit leur trajet d'un regard écarquillé.
— Casse, Eliance, t'es complètement tarée. Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Tu m'imagines plus doué que je le suis si tu crois que je peux opérer des gens en pleine rue avec ma bite et mon couteau.
— Si on la porte jusque là-haut – tu pourrais peut-être la retaper ? Au moins les premiers soins ?
— Quoi – dans ma piaule ? se sidéra-t-il. Il toussa un gloussement hystérique. – C'est vrai que t'as pas vu l'intérieur de mon palace. Tu peux globalement y poser ta pêche en mangeant ton déjeuner sans quitter ton lit. C'est pas une putain de salle d'opération ! Et j'ai aucun matos !
Il frotta son crâne rasé d'une main ahurie.
— Si tu veux lui donner la moindre chance, à ta pote, il faut l'amener au palais.
Lisabeth sentit le désespoir saper ses dernières forces. Jusqu'ici, elle s'était convaincue pour ne pas flancher que l'un des apprentis chirurgiens pourrait miraculeusement résoudre cette situation.
— Je ne sais pas si elle supportera le voyage, se rongea-t-elle.
Il était déjà prodigieux que Salomé ait parcouru tout ce chemin sans succomber à ses blessures. Elle n'était pas de première fraîcheur, en revanche ; le tonus avait déserté ses muscles, et sa tête pendait lamentablement sur l'épaule de Lisabeth. Morante haussa les épaules.
— Si elle cane en chemin, c'est qu'elle aurait pas tenu, de toute façon, rétorqua-t-il. Y a Embret sur place. Il pourra nous filer un coup de main. Je sais juste pas comment on va convaincre les gardes de nous laisser entrer.
— Je peux me charger de ça.
À deux, ils portèrent Salomé à travers les rues silencieuses. Fourbue de fatigue, Lisabeth loua l'aide de Morante qui soutenait la majorité du poids de l'épéiste. Elle le guida jusqu'à la caserne de la milice, puis dans l'escalier qui menait sous l'armurerie, jusqu'au passage souterrain qu'elle avait emprunté tant de fois avec Aife et Ausègue. Elle espérait que si l'un des soldats les apercevait, il mettrait cela sur le compte de leurs habituels trajets nocturnes mandatés par la reine. Devant la porte, elle extirpa de son sac la clef qu'elle avait dérobée au Lieutenant.
Ils crapahutèrent dans le sous-sol en ahanant. Salomé ne réagissait plus du tout. Lisabeth sentait toutefois un souffle fragile lui effleurer la nuque, à intervalles irréguliers, auquel elle raccrochait son espoir en perdition.
— V'là autre chose, soupira Morante en apercevant la trappe au-dessus d'eux.
Il abandonna Salomé dans les bras de Lisabeth, le temps de grimper à l'échelle. Épuisée, la jeune femme se rangea à ses décisions sans poser de question.
— Ah ben merde, lui parvint sa stupéfaction depuis les hauteurs, lorsqu'il poussa la trappe.
Elle devinait ce qui l'interloquait : le passage menait dans l'une des salles de soin de l'infirmerie royale, secret qu'il ignorait certainement. Morante se cala sur la dernière marche, puis lui tendit les bras. Tant bien que mal, Lisabeth hissa Salomé en sa direction ; l'apprenti lui attrapa les épaules et tira tandis que la jeune femme lui soulevait le bassin. Ce fut pénible, et Morante manqua une fois de se briser la nuque sous le déséquilibre, mais il extirpa finalement le corps de Salomé du passage. Lisabeth grimpa l'échelle à leur suite.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
