Lisabeth entra dans la salle d'audience en essayant de conserver une inspiration linéaire. L'endroit débordait déjà de monde, toute la noblesse de Castelnave réunie dans leurs plus beaux habits mondains. À contempler les épaulettes satinées et le velours drapé des jupes longues, on aurait cru à l'ouverture d'un bal plus que d'une affaire officielle. Les cinq jours offerts, les cinq derniers jours de l'année avaient débuté la veille, après tout : il y avait matière à célébration.
Quelques visages se retournèrent sur son passage, qu'elle s'efforça d'ignorer. Ceux qui la reconnurent transmirent le message aux voisins, appuyé de murmures peu discrets et de regards condescendants. Ils étaient tellement nombreux qu'elle dut user de ses coudes pour se frayer un chemin entre les corps, jusqu'à la rambarde enrobée de moulures dorées qui les séparait de l'estrade et des trônes y présidant. Assise au centre, sur la chaise la plus ornementée, la reine Grâce traînait son regard bleu ennuyé par-dessus les têtes massées face à elle, les mains déposées sur les accoudoirs dans une posture qui imitait singulièrement la perfection sèche des statues antiques. Le mariage des saphirs entourés d'arabesques d'argent, enchâssés dans son trône, et de sa robe vert pastel aux manches cintrant ses bras et au col remontant jusqu'à son cou, encadrait sévèrement sa figure pâle. Lisabeth songea aux représentations de la Justice, avec son visage austère et sa flamberge, et sentit son ventre se nouer. À la droite de la reine se tenait le roi David, égal à lui-même dans sa livrée blanche et or, le menton impérial ; à la gauche de la reine attendait Raphaël Mériane, le ministre de la Justice, dont la figure de dandy paraissait étrangement gauche en cette compagnie. Il peignait sa moustache grise d'un geste inattentif qui hérissa Lisabeth au dernier degré. Aucun membre de ce trio ne lui viendrait en aide, elle le sentait.
Au pied de l'estrade se dressait le reste des ministres, Barthélémy Carnoz avec cette allure permanente de grand-père affable lui conférant un air dépassé dangereusement faux ; Benjamin Pariaud, Archeduc de Sisenron, un sexagénaire bâti comme un ours dont les galons épinglés sur sa poitrine étincelaient pourtant moins que son crâne entièrement chauve ; Abram Anselme, l'oncle du roi au regard brun perçant, dévolu aux Affaires étrangères. Évidemment, Jeremiah Ufiant parachevait le tableau. Il ne l'avait miraculeusement pas remarquée, portait même un regard trop distrait pour quelqu'un dont le plus grand ennemi s'apprêtait à recevoir une condamnation définitive de la cour. Lisabeth se tourna vers ce qui semblait tant l'accaparer, incapable d'assourdir sa curiosité. À l'autre bout de la salle, noyée dans la foule, Andrée se tenait très droite dans les volutes de soie noire qui la recouvraient, une main refermée de manière protectrice autour de son épaule opposée. Son expression paraissait dévastée. Lisabeth se souvint en sentant son cœur se pincer avoir entendu quelque chose à propos du décès brutal de son parrain.
Enfin, ce n'était pas comme si elle pouvait rejoindre son amie et la soutenir dans son chagrin, n'était-il pas ? Elle ne pouvait plus s'en soucier, plus maintenant.
— Ouvrez l'audience, demanda l'accent traînant de la reine.
Elle n'essaya même pas de réduire la salle au silence. La clameur n'augmenta que plus à cette annonce, un bourdonnement excité s'amplifiant en bruit de fond. Lisabeth respira difficilement et foula un pas instinctif en arrière. Elle savait qu'Isaac était entré derrière elle – invisible, à travers la foule, là où les attentions étaient pourtant tournées vers elle –, et le mouvement amena sa main contre celle de l'assistant, la frôlant sans la toucher. L'assurance de sa présence proche la réconforta vaguement. Ne fit cependant rien pour dompter la faiblesse qui la submergea lorsque son père entra dans la salle, enchaîné et entouré de gardes ; elle aurait pu vomir mais força sa volonté à se plier à elle et dressa sa colonne autant que possible alors qu'elle fixait le vidomne du regard.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
