Une corde sciait les mains de Talma lorsqu'elle revint à elle. Elle sentait à peine le bout de ses doigts, privés de leur sang. La souffrance lui écartelait les tempes, presque insurmontable, à laquelle elle faillit céder une seconde fois et sombrer à nouveau. Elle s'accrocha à ses résidus de conscience avec la frénésie du condamné.
L'endroit sentait le moisi du bois et du papier. L'air y stagnait, emprisonné comme elle. Mobilisant toutes ses forces, elle s'obligea à relever le menton. Des scintillements dansèrent devant ses yeux. Elle avait l'impression que son crâne pesait plus lourd que du plomb. Ses paupières cillèrent, cherchant à chasser la glue du coma.
Elle était enfermée entre quatre murs sombres, un bâtiment comme en raffolaient les gens de la surface. Il n'y avait pas de fenêtre, seulement une porte. Barrée par une chaise contre laquelle se dessinait la silhouette longiligne d'un homme. Parfaitement immobile, il la scrutait d'un regard dont elle sentait l'acuité malgré l'obscurité, fiché droit sur son front, sans faille. Elle avait l'impression alarmante que, malgré l'absence de lumière, il la discernait très bien, parce qu'il se repérait aussi bien qu'elle dans les ténèbres. Tout comme il était parvenu à la dompter, au sortir du souterrain ; il n'aurait pas dû, la nuit était son domaine, elle la connaissait mieux que quiconque mais il avait réussi à s'y insinuer sans qu'elle ne le voie et ce n'était pas possible, à moins d'être comme elle, une créature des ombres.
Prise d'un effroi qu'elle ne ressentait d'ordinaire jamais, elle revint soudain tout à fait à elle et se débattit comme la furie qu'elle était. Ses bras ligotés dans son dos se tordirent, frottèrent contre ses liens à lui en arracher la peau. Elle s'agita de plus belle. On l'avait attachée contre le pied d'un meuble très lourd, si elle se fiait à l'absence absolue de mouvement en réponse à ses convulsions enragées.
— Reste tranquille, recommanda l'homme, depuis sa chaise.
Il n'avait pas bougé mais il la fixait toujours. Sa voix placide gratta les souvenirs de Talma jusqu'à ce qu'elle comprenne enfin. Cet homme, elle l'avait déjà vu aux côtés de Lisabeth, il rôdait toujours auprès d'elle, comme l'entité malfaisante qu'il était certainement. Il n'y avait qu'un démon pour s'accrocher ainsi, la supplanter dans les ombres alors qu'il s'agissait de son territoire, alors qu'elle l'avait déjà tué une fois et il était quand même revenu. Lisabeth, son pauvre reflet, comment pouvait-elle retrouver le droit chemin si un démon lui murmurait des tromperies à l'oreille ?
Elle rua en mugissant. Peut-être qu'il s'approcherait et alors, elle le frapperait, elle l'obligerait à la libérer.
— Tu vas me tuer ? gronda-t-elle.
— Non.
Il n'y avait pas de mensonge dans sa voix. Il semblait même bien conscient qu'il commettait une erreur. À sa place, Talma n'aurait pas hésité une seule seconde.
— Pourquoi non ?
— On m'a demandé d'éviter.
— Qu'est-ce que tu me veux, alors ? rugit-elle.
La corde mordit la peau de ses poignets. Elle les frotta avec rage, les écorchant un peu plus.
— Te garder en dehors du tableau pour un temps, dit l'homme d'un ton égal. Je te libèrerai ensuite. Reste tranquille.
— C'est moi qui te tuerai, cracha-t-elle en ignorant son dernier ordre.
Elle essaierait une seconde fois, et une troisième s'il le fallait, autant de fois qu'il le faudrait, jusqu'à ce qu'il reste mort pour de bon. La menace sembla bien peu l'émouvoir. Il n'avait toujours pas bougé de sa chaise. Talma serra les dents et fit glisser ses poignets meurtris dans le sang qui enduisait la corde. Elle se libérerait et il regretterait de ne pas l'avoir achevée le premier.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...