Chapitre 46 : L'opportuniste

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Le palais royal connut plusieurs jours d'ébullition pendant lesquels Lisabeth maudit de ne pouvoir assister aux réunions ministérielles. D'exaspération, elle avait pourtant réfléchi à la possibilité d'espionner les conseils en utilisant les passages dissimulés dans les murs, mais avait vite abandonné la combine avec la conclusion qu'elle finirait en prison bien avant d'entendre une information intéressante. Quelques échos l'avaient tout de même atteinte, par les racontars de la cour qui ne discutait plus que du message dévot inscrit sur le mur, ainsi que par Ezra Besquier, qui lui accordait bien plus de complaisance depuis qu'elle avait réussi à réparer la machine. Le capitaine l'informa que, poussé par l'anxiété de la Reine, l'Archeduc d'Oslandres avait obtenu le droit de détacher quelques hommes de la garde royale et de la milice sans distinction, pour les dévouer à la traque de ces fanatiques. Lisabeth trouva l'ironie de la situation de très mauvais goût. Le moment était mal choisi pour conférer plus de pouvoirs à Ufiant.

En ces instants, elle regretta de ne plus disposer des faveurs de la cour. Louise lui aurait certainement apporté des informations cruciales, plus fournies que les rapports officiels. Elle lui aurait également épargné de jouer les potiches dans les évènements mondains, comme en ce jour, où elle s'était obligée à assister au tournoi de balle amateur du palais, en espérant y glaner quelques commérages. L'objectif du sport semblait être de marquer des points contre un muret où l'on avait peint plusieurs lignes dont Lisabeth ignorait la signification, à l'aide d'une balle en cuir propulsée par une large palette que l'on tenait à la main. Le jeu était sans doute prenant en d'autres circonstances, lorsque pratiqué par des athlètes un peu plus aguerris qu'une poignée de nobles en mal d'occupation, lorsqu'on ne brûlait pas sous un cagnard de tous les diables, et lorsqu'on en avait, de manière générale, quelque chose à carrer.

Lisabeth se renfrogna sous l'ombrelle qui protégeait la table. Par chance, elle avait réussi à chaparder une place assise à son arrivée, en face de laquelle personne n'avait daigné se poser. La chaleur n'en demeurait pas moins atroce, sous son col montant et ses manches bouffantes, malgré le tissu léger de sa blouse. Toute à ses ruminations, et persuadée que l'on fuyait sa compagnie, elle requit plusieurs minutes pour réaliser la présence qui se tenait en face d'elle, les mains appuyées sur le dossier de la chaise vide. Elle sursauta.

— Navré, lui sourit l'homme. Vous sembliez fort absorbée par la partie.

Perché sur de hautes jambes, il semblait lui aussi souffrir de la chaleur, à en croire les manches de son veston clair qu'il avait roulées sur ses coudes ; la visière de son chapeau en fibres tressées lui protégeait le front. Ses mâchoires carrées étaient entièrement mangées par une barbe d'épaisses boucles orange. Lisabeth fronça les sourcils. Sylvien Destastres, encore. Pourquoi lui semblait-il croiser ce type partout, ces derniers temps ? Il s'agissait pourtant des tous premiers mots qu'ils échangeaient.

Le silence qui perdura entre eux dut l'alerter, a minima, sur la circonspection évidente de la jeune fille. L'industriel se racla la gorge et fouilla un instant ses poches. Avec un geste d'excuse, il lui tendit une carte de visite.

— Je suis...

— Je sais qui vous êtes, coupa Lisabeth, en lorgnant sur la carte sans y toucher.

— Ah. – Destastres lui sourit à nouveau, un peu désarçonné par cette absence évidente de cordialité, sans renoncer pour autant. – Votre père vous aura parlé de moi. Nous avions eu quelques échanges intéressants, lorsqu'il était encore des nôtres.

Lisabeth plissa les yeux. Quelle stratégie étrange que d'évoquer son père. Il n'était pas celui que l'on citait en référence, ces temps-ci.

— Puis-je me joindre à vous ? insista-t-il.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant