Chapitre 13 : Les hommes vus du ciel

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Lisabeth avait entendu parler des aéroplanes, mais n'aurait jamais pensé en observer un de sa vie. Encore moins monter à l'intérieur. Lorsque l'on se trouvait à Artemoires, les rumeurs sur l'invention d'appareils volants destinés à porter les hommes dans le ciel comme des oiseaux ressemblaient à un doux rêve ambitieux plutôt qu'à une réalité. Et pourtant.

L'idée d'Isaac était de rallier la capitale par les airs, moyen que l'Archeduc n'aurait certainement pas anticipé et raison pour laquelle ils avaient poussé leur voyage jusqu'aux montagnes de Silsedelle. La ville comptait parmi les rares bastions de l'aéronautique sur le continent et sa position culminante, protégée des vents, lui conférait des critères idéaux pour le décollage de ces appareils. S'assurer un passage dans un avion représentait toutefois une tâche fastidieuse, barrée d'une foule de mesures administratives et rendue plus pénible encore lorsque le but était de voyager sur une si longue distance, jusqu'à un autre pays, de manière discrète. Cela expliquait les difficultés et le délai qu'Isaac avait rencontrés en s'échinant à convaincre l'un des pilotes de les amener à Castelnave.

Lisabeth considérait le concept ingénieux, mais ne plaçait qu'une confiance très mesurée dans ces innovations qui n'avaient pas prouvé leur efficacité à son goût. Ils allaient voler dans l'un de ces frêles appareils. S'élever dans les airs alors que la carcasse à double voilure lui paraissait plus fine que du papier et que les turbines branlantes ne lui inspiraient aucune confiance. Oh, son imagination affluait depuis plusieurs minutes en listant tous les incidents qui pourraient survenir, et elle était loin de tomber à court d'inspiration.

Elle n'écouta pas tout ce que le constructeur de l'aéronef expliquait à propos de son bijou, de peur d'y trouver des failles trop importantes à son goût ; elle retint toutefois que l'appareil était pensé pour voyager pendant plusieurs heures d'affilées – jusqu'à six, ce qui était apparemment un record. Ils pourraient donc voler la journée puis se poseraient chaque soir pour ravitailler l'avion en carburant et passer la nuit selon des escales prévues à l'avance. Ils devraient ainsi atteindre Castelnave en trois jours.

Trois jours assise dans ce coucou. Lisabeth se sentit blêmir par anticipation.

Elle fit ses adieux à Henry et Anita avec tristesse. Les amis de son père l'avait accueillie si entièrement qu'elle avait, pour la première fois de sa vie, touché du doigt le concept de famille. Ils étaient les plus généreuses personnes qu'elle avait eu l'occasion de rencontrer et leur train de vie incongru allait lui manquer. Ils lui offrirent de revenir à Silsedelle quand elle le désirait, qu'ils la recevraient toujours avec plaisir, ce qui fit considérer à la jeune femme la possibilité de visiter à nouveau les montagnes quand toute cette histoire serait terminée. « Terminée » ? À quoi pensait-elle donc ? Elle ne pouvait se projeter dans le futur à ce point, pas quand le prince était loin de la salvation, pas quand l'ombre sinistre de l'Archeduc rôdait toujours au-dessus d'eux. Et puis, s'ils s'en sortaient, son père l'obligerait sans doute à retourner à Artemoires. Elle ne serait pas libre de vadrouiller à sa guise.

Elle retint un frisson lorsque sonna l'heure de grimper dans l'aéroplane. On avait fait revêtir aux trois passagers une épaisse combinaison conçue pour les protéger du froid et de l'humidité en altitude, qui pesait sans doute plus lourd que Lisabeth et dans laquelle il lui semblait se mouvoir d'une façon éléphantesque. Ajouté au casque et aux lunettes qui recouvraient son visage, elle se sentait oppressée, limitée dans ses mouvements, ce qui n'aidait pas à calmer son appréhension de voyager dans cet engin. Elle s'approcha de l'escabelle d'une démarche coincée, en se demandant comment elle allait parvenir à gravir cet obstacle avec son harnachement infernal.

Perché sur la carlingue, Isaac perçut son embarras et s'interrompit un instant dans le chargement de leurs bagages pour lui tendre un bras charitable. D'une façon inexplicable, ses gestes à lui apparaissaient toujours aussi souples malgré la tenue d'aviateur. Lisabeth loucha sur cette aide sans oser s'en saisir. Depuis le début de cette aventure, l'assistant s'était toujours prouvé infiniment poli en toutes circonstances mais, plus encore après leur petite scène dans le chalet des Prescant, il conservait entre eux une distance évidente, d'une bienséance poussée à l'extrême, aussi la jeune femme s'étonna-t-elle de cette proposition de contact. Avec hésitation, elle attrapa la main offerte et accepta que l'homme la hisse jusqu'à son siège.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant