Chapitre 58 : Censure

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Simon toqua à la porte et passa la tête par le battant sans attendre la réponse. Michael décerna à son secrétaire un regard ennuyé, que son employé supporta sans flancher. Lisabeth tourna la tête vers la distraction, à son tour, et le vicomte imaginait bien à quoi la scène devait ressembler : seul avec la jeune fille dans son bureau, aux aurores, avec son visage cerné et ses cheveux noirs à peine coiffés. Simon avait eu la délicatesse de ne jamais commenter à voix haute les fréquentes visites de l'héritière d'Artemoires. Il n'en pensait probablement pas moins.

— Vraiment navré d'interrompre, monsieur, mais la garde royale attend à la porte.

Michael retourna la tête pour adresser à Lisabeth une moue confuse. Celle-ci demeura imperturbable, sans grande surprise. Il ne savait pas si elle avait prévu l'éventualité dans l'une de ses stratégies insondables ou s'il était simplement impossible de briser sa constance.

— Fais-les entrer, autorisa-t-il avec un soupir, comme il n'avait de toute façon pas le choix.

Le lieutenant Ausègue s'avança dans le bureau, le képi sous le bras, suivi d'un second soldat. Il y avait au fond de leurs yeux la lueur trouble de ceux qui n'ont pas dormi. L'officier exécuta un salut impeccable et s'adressa d'abord à lui :

— Monseigneur de Talemarne. Désolé de vous déranger à cette heure. Je voulais m'entretenir avec Mademoiselle Eliance.

Lisabeth se redressa légèrement alors que le regard du lieutenant se posait sur elle. Son expression était prudente.

— Lieutenant ? murmura-t-elle.

Le garde glissa une brève attention en direction du vicomte, comme pour évaluer s'il devait parler devant lui ; Lisabeth haussa les épaules, ce qui sembla le décider.

— Sylvien Destastres a été retrouvé mort dans sa cellule en fin de nuit, annonça-t-il.

Ses deux interlocuteurs écarquillèrent de grands yeux.

— Il était mort depuis une heure du matin, environ, d'après le physicien qui l'a examiné. Vidé de son sang par... tous les orifices imaginables.

— Mort-blanche, reconnut Lisabeth.

Ausègue et Michael posèrent sur elle le même regard éberlué. La jeune femme se mordit l'intérieur de la joue en essayant de conserver une expression neutre. Ils devaient se demander où elle avait appris ça.

— Effectivement, admit le lieutenant d'un ton un peu circonspect.

Classiquement utilisée pour dératiser les maisons, la mort-blanche fonctionnait pourtant tout aussi bien sur les humains que sur les vermines et avait provoqué de nombreux accidents ménagers, depuis sa commercialisation. Elle restait pourtant accessible dans la plupart des drogueries. Un poison très efficace mais très sale, qui tuait par exsanguination massive en quelques heures.

— Vous avez un problème de rats dans votre prison, Lieutenant ? marmonna Lisabeth.

— Non, rétorqua Ausègue. Et en tant que dernière personne à vous être entretenue avec la victime avant son décès, je dois vous emmener pour interrogation. Vous êtes notre principale suspecte.

Il déclara son accusation absurde d'un ton incroyablement las. Lisabeth sentit la frustration lui envahir soudain les membres et dut bander ses muscles pour s'empêcher de trembler. Elle avait été si proche. Si proche ; elle y avait cru. Et en plus de lui ôter la consécration de ses efforts à la dernière seconde, on essayait de lui coller un meurtre sur le dos.

— Cela n'a pas de sens, réfuta-t-elle. Les délais ne correspondent pas. La mort-blanche agit en moins de cinq heures, j'avais quitté la prison depuis bien plus longtemps que cela.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant