Chapitre 3 : Aux heures sombres

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Lisabeth se réveilla sous le souffle puissant du vent.

Elle avait toujours possédé un sommeil léger. Une caractéristique qui lui avait joué plus d'un tour lors de la saison des zéphyrs, surtout lorsque s'abattaient les premiers orages. Un rien la tirait de ses rêves. Trop alerte pour se rendormir, elle en profita pour visiter les cabinets, ses pieds nus s'imprégnant de la fraîcheur du sol jusqu'à lui en donner des frissons. Elle ramena les pans de sa robe de chambre autour d'elle lorsque son affaire fut terminée, en se demandant si elle devait appeler une camériste pour allumer un feu. Elle se sentait toujours mal à l'aise de réveiller les domestiques au milieu de la nuit – quoi de plus humiliant que de ne pouvoir subvenir à ses besoins les plus stupides par elle-même, au point de perturber le sommeil des autres –, aussi préféra-t-elle oublier l'âtre et passer un chandail supplémentaire ainsi qu'une paire de bas en laine. Peu élégantes, les chaussettes eurent le bénéfice de l'isoler du parquet gelé. Toute trace de léthargie l'avait désertée ; elle hésita à se recoucher malgré tout, mais décida qu'elle pourrait tout aussi bien lire pendant une heure ou deux. Au sommet de la nuit, elle ne serait pas dérangée par sa gouvernante.

Elle s'apprêtait à allumer sa lampe de chevet, la plus discrète, lorsqu'elle perçut les bruits à l'extérieur. Elle crut d'abord que son imagination lui jouait des tours car quand elle releva la tête, seul le silence nocturne lui répondit. Malgré tout, elle tendit l'oreille. Sans en être certaine, elle pensait que quelqu'un se tenait dans le couloir.

À cette heure, il était pourtant rare d'entendre du passage dans cette aile de la maison, à moins d'avoir spécifiquement requis l'aide d'un domestique. Son père dormait dans une pièce de l'étage inférieur, proche de son bureau ; il ne pouvait donc s'agir de lui. Sa curiosité piquée, Lisabeth s'approcha à pas de loup de la porte et glissa son oreille contre l'interstice. Là, à nouveau ; un bruit, amorti, presque imperceptible, d'un lourd poids déplacé. Tout proche. En retenant son souffle, elle crut capter la hachure infime d'une respiration.

Il s'agissait sans doute d'un simple serviteur. Sans doute... L'instinct de Lisabeth lui souffla que quelque chose se tramait. Sans réfléchir à l'imprudence de son geste, elle ouvrit la porte.

Une silhouette s'abattit sur elle. Par miracle, la jeune fille parvint à retenir son cri alors que ses genoux s'écroulaient avec son assaillant. Affalée contre le cadre de sa porte, elle nécessita quelques secondes pour reprendre ses esprits, son cœur assourdissant le monde depuis sa poitrine. La masse appuyée sur elle n'avait pas bougé. Le sifflement d'une respiration lui parvint. Avec une audace qu'elle ne se connaissait pas, Lisabeth porta une main au visage de son agresseur pour tenter de le reconnaître.

— Isaac, c'est vous ? souffla-t-elle, incrédule.

La figure habituellement morne du secrétaire de son père était entièrement contractée d'une manière pénible. Dans un grognement, il agrippa l'épaule de la jeune fille, le geste gourd. Lisabeth discerna avec horreur la trace sanguinolente que le contact laissa sur son chandail. Son souffle se coinça dans sa gorge. Sous le battement affolé dans ses tempes, elle perçut enfin la tache sombre qui poissait le flanc du veston de l'assistant, noire sur noir, à peine visible dans l'obscurité. Une fragrance métallique agressa ses sens et elle dut réprimer un haut-le-cœur.

— Isaac, que vous est-il arrivé ? pressa-t-elle dans un couinement aigu.

Que devait-elle faire ? Appuyer sur la blessure ? Appeler à l'aide ? L'assistant semblait trop mal en point pour qu'elle parvienne à le déplacer. Qu'est-ce qui l'avait mis dans cet état ? L'homme se redressa péniblement contre le bois de la porte ; sa trachée exhala un bruit rauque.

— Votre père... murmura-t-il.

Lisabeth saisit aussitôt l'avertissement, sans vraiment savoir ce qui la rendit aussi sûre d'elle. Mue par une énergie inconnue, elle poussa sur la porte pour se remettre sur ses pieds, en essayant de ne pas trop bousculer Isaac, puis détala dans le couloir. Au fond d'elle, elle réalisait bien qu'elle n'était pas seule. Le second de son père n'avait pu se blesser de cette façon sans intervention extérieure.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant