Les escaliers qu'ils avaient trouvé au fond de la caverne menaient effectivement à la surface. La trappe était rencognée derrière une sorte de stèle, enfouie dans les jardins de l'université et recouverte de buissons d'épines. Isaac s'en extirpa avec quelques griffures et enregistra soigneusement l'emplacement de l'accès. Il ne se trouvait pas si loin de la dépendance dans laquelle ils avaient commencé leurs recherches.
Encore sur les nerfs, il s'empêcha d'examiner trop longtemps les environs en espérant y apercevoir Lisabeth. Son issue à elle pouvait tout aussi bien se trouver à l'autre bout de la ville. Il n'avait pas de temps à perdre, pas lorsqu'il se trouvait encore en terrain hostile.
Ils avaient convenu de se retrouver chez l'épéiste. Isaac s'y rendit sans tarder, déjà accompagné par le lever du jour que l'imminence de l'été rendait précoce. La boutique de photographie était plongée dans une sérénité endormie lorsqu'il y parvint. Il poussa doucement la porte ; celle-ci, fait étonnant, s'ouvrit sans rechigner. Le jeune homme calma la pointe d'espoir traître que le constat fit naître. La propriétaire des lieux avait confié un double des clefs à Lisabeth mais cela ne signifiait pas pour autant qu'elle était revenue avant lui. Il toqua tout de même avant d'entrer.
La salle principale était plongée dans le noir ; une petite lampe crachait une flaque orange dans l'alcôve de la cuisine. Si l'endroit avait été bien déblayé depuis l'inondation, il béait à présent, vidé de la plupart de ses meubles, la cuisinière mise au rebut. Salomé avait déplacé une petite table depuis le studio de son oncle et deux chaises pliantes. Sur l'une d'entre elles, attablé devant une tasse qui contenait une bouillie brunâtre difficile à identifier, se tenait un garçon de six ou sept ans. Maigre comme un clou, avec la peau bronzée et les yeux bridés des peuples des îles, il avait enfoncé sa joue dans son poing et battait des jambes dans le vide avec un air d'ennui.
Son regard s'écarquilla lorsqu'il aperçut Isaac. Soudain très vif, il bondit de sa chaise, marqua un instant d'hésitation, puis se précipita sous le chambranle qui démarquait la cuisine pour barrer le passage.
— Au voleur ! protesta-t-il. T'es qui, toi ? Pas un pas de plus !
Isaac baissa les yeux sur cette demi-portion impétueuse, un peu déconcerté. L'enfant parlait avec un accent étrangement hybride, un mélange entre le phrasé cru de la Citadelle et l'inflexion prétentieuse de la bourgeoisie d'Artemoires. L'association était singulière.
— Pas un pas de plus ! insista le gamin, alors qu'il lui arrivait à peine au-dessus des hanches et qu'il n'avait rien d'autre pour se défendre que ses bras chétifs.
Il gesticulait toutefois avec un caractère qui palliait son gabarit. Isaac recula d'un pas et écarta ses mains ouvertes au-dessus de sa tête, en guise de coopération.
— Nom et dessein ! exigea l'enfant.
— Isaac. – Il dut tout de même mordre un sourire pour le ravaler, quelque chose lui soufflait que le gosse l'aurait mal pris, et chercha ce qu'il pouvait répondre pour apaiser sa méfiance. – Je suis un ami de Lisabeth.
Il avait visé juste ; le nom captura immédiatement l'intérêt du garçon, qui se redressa d'un air moins hostile. Il frotta ses joues sales, puis les épis bruns qui dansaient sur son crâne, avant de se souvenir qu'on ne l'achetait pas aussi facilement et de se renfrogner à nouveau.
— Prouve-le !
— Elle confirmera, assura Isaac en haussant les épaules.
L'enfant lui adressa un regard rancunier. La réponse le laissait sur sa faim ; il aurait sans doute souhaité, également, que cet inconnu prétende avoir un peu plus peur de lui.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
