Chapitre 14 : L'apothicaire

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La pluie les cueillit de plein fouet lorsqu'ils entrèrent dans la capitale.

Recouverts par leurs capes, les voyageurs ne tardèrent tout de même pas à être trempés de la tête aux pieds. L'eau s'infiltra dans leurs vêtements, leurs cheveux et leur peau jusqu'à ce qu'ils ruissellent sur place. Si Lisabeth appréciait la saison des vents, pour ses ampleurs olympiennes et la palette de couleurs et de musiques qu'elle peignait sur le monde, elle goûtait moins en revanche les averses cataclysmiques qui parsemaient cette période de l'année.

James les guida dans les petites rues de la ville du pas le plus rapide qu'il possédait, accompagné de grommellements mal lunés. Comme sa fille, il appréciait peu l'humidité. Celle-ci devait presque courir après ses enjambées pressées pour ne pas se laisser distancer, et regretta que le temps ne lui permît d'apprécier les décors de Castelnave. Après toutes ces péripéties, elle découvrait enfin la capitale, et elle n'était même pas en mesure de poser sur cette ville que l'on nommait la Cité des Fleurs une image autre qu'un épais rideau de pluie grise, maussade.

Le vidomne se faufila dans une ruelle plus couverte, où les toits des maisons avançaient sur le pavé pour les couvrir en partie du déluge, puis poussa une porte et les pressa pour qu'ils pénètrent dans la demeure. Il n'avait même pas frappé. Lisabeth comprit, en ôtant son capuchon et malgré ses cheveux qui dégoulinaient à grande eau dans ses yeux, ses anglaises piteusement plaquées sur son crâne, qu'ils se trouvaient dans une petite boutique. Elle eut d'abord du mal à déterminer ce que proposait le commerce. Peut-être des plantes – un botaniste ? – puisque des pots verdoyants s'entreposaient les uns sur les autres dans les coins de la pièce. Peut-être un antiquaire, au vu des grigris étranges disposés sur les étagères. La majorité de la décoration résidait en des alignements de bocaux, plus ou moins poussiéreux, qui emplissaient les murs encore et encore et qui semblaient contenir un vaste panel de teintes et de textures. De là où elle se trouvait, même en plissant les paupières, Lisabeth ne put déchiffrer les étiquettes qui légendaient les récipients.

Le propriétaire débarqua de l'arrière-boutique en grandes trombes, alerté par le bruit. Lisabeth fut surprise de découvrir une femme, relativement jeune, à la peau plus sombre encore que celle d'Isaac, presque aussi noire que la prolifération de tresses qu'elle avait nouées sur le haut de son crâne et qui dégringolaient dans son dos jusqu'à la chute de ses reins. Elle portait un uniforme très masculin, une salopette marron par-dessus une ample chemise, des bottes éculées, et ses mains aux ongles rognés étaient recouvertes de souillures bleues impossibles à identifier.

— James Eliance, ben voyons, reconnut-elle d'une voix chantante. Je rêve. Je pensais que tu étais mort – plusieurs fois, d'après les rumeurs.

Le vidomne s'avança pour lui serrer la main, qu'elle secoua avec énergie avant d'en faire de même pour Isaac. Face à Lisabeth, elle présenta un salut identique, sans hésiter une seconde ; la jeune fille le lui rendit après un moment d'incertitude. Au vu de son rang, elle n'avait jamais serré la main de quiconque en guise de politesse, encore moins d'une femme.

— Aife Cioneadh, se présenta la commerçante – une succession de sonorités totalement étrangères.

— Lisabeth Eliance, répondit-elle prudemment.

— Ah, vraiment ! s'exclama Aife en la dévisageant des pieds à la tête, puis en adressant au vidomne le même examen, perplexe. – Eh bien, quelle compagnie. Peut-on savoir ce qui vous amène ? Te connaissant, James, je doute qu'il s'agisse d'une visite de courtoisie.

— Tu me vexes, rétorqua le vidomne sans une once de persuasion.

La propriétaire leur adressa un petit signe pour leur indiquer de la suivre dans l'arrière-boutique. Les trois voyageurs trempés lui emboîtèrent le pas tandis qu'elle ricanait :

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant