James avait demandé une entrevue « privée » avec le couple royal pour annoncer son retour à la capitale. Lisabeth s'interrogea sur la définition que possédaient les citadins d'une telle notion. Son père et elle furent certes reçus dans un salon plus modeste que la grande galerie du trône, aperçue par la jeune fille à travers les fenêtres lorsqu'ils avaient traversé les jardins, mais cela n'empêcha pas plusieurs soldats de stationner aux coins de la pièce, une dizaine de nobles d'assister à la réunion et un nuage de valets de pied d'entourer les souverains.
Lisabeth tenta de ne pas trébucher en entrant dans le salon, et de se rappeler les leçons de sa gouvernante et de ses précepteurs sur l'art de saluer avec élégance et manières. Mince, elle n'aurait jamais imaginé qu'elle honorerait un jour la reine et le roi de Tascanie en personne. Peut-être aurait-elle prêté plus d'attention au verbiage ennuyeux de ses maîtres, le cas échéant – non, qui croyait-elle escroquer, elle aurait bayé aux corneilles de l'exacte même façon. Elle s'avéra toujours aussi nulle pour effectuer la révérence, son temps loin d'Artemoires et de la civilisation n'ayant rien arrangé, mais elle s'efforça malgré tout de plonger aussi joliment que possible dans sa courbette ; comme toujours, ses hanches manquaient de souplesse, et l'arc bancal de ses genoux tenait plus du canard que de la ballerine.
Elle se demanda comment elle allait se relever de cette acrobatie sans se casser la figure. Sous son menton baissé, elle guetta les mouvements de son père, à côté d'elle, pour l'imiter au moment où il se redresserait. Ses cuisses la brûlaient déjà.
Elle ne devait pas fixer trop directement les souverains, ce n'était pas convenable. Cependant, elle ne put s'empêcher de glisser un coup d'œil discret en direction du couple, de la reine, surtout. Son Altesse Sérénissime Grâce de Tascanie était la descendante de la longue dynastie Soleigre, celle qui apportait le sang royal au trône et au petit prince, Ange. Elle était vêtue d'une longue robe vert sombre, à la dentelle boutonnée jusqu'au col et aux épaules rehaussées ; le drapé de sa jupe s'épandait derrière elle en bel arc de cercle sur le tapis brodé. Trois rangées de diamants ceignaient sa gorge pâle. Ses yeux bleus étirés de longs cils clairs lui venaient de son père, feu le roi Désiré, et une fossette creusait son menton fuyant, poussant ainsi ses deux incisives supérieures vers l'avant, à la limite de ses lèvres charnues, même lorsqu'elle n'ouvrait pas la bouche. Lisabeth se demanda s'il était blasphématoire de penser qu'elle ne trouvait pas la reine très jolie ; cela n'entachait en rien sa prestance, l'assurance avec lequel elle se portait au milieu de cette salle emplie de figures plus jeunes et plus belles. À ses côtés, le roi David pouvait se targuer d'épaules aristocrates et d'un sourire très charismatique, mais il peinait à ne pas se faire éclipser par le rayonnement de son épouse.
— Messire d'Artemoires, constata la reine de cet accent traînant que semblaient posséder tous les habitants de la capitale. Son père se redressa de sa courbette à cet instant et la jeune femme paniqua en poussant maladroitement sur sa jambe pour l'imiter. – Vous revoici parmi nous. Quel curieux conte rapportez-vous de vos explorations, cette fois ?
— Pas de conte, mais quelques modestes souvenirs, Votre Altesse, décrivit James.
Il indiqua le panier débordant de bibelots qu'il avait fourgué dans les pattes d'un serviteur à l'entrée du palais, que le pauvre homme avait dû porter malgré le poids jusqu'au salon royal. Les décorations, minutieusement sculptée dans le bois, la corne de bouc et le quartz rose, avaient été achetées à Silsedelle avant leur départ, lorsque le vidomne avait hâtivement fabriqué cette excuse pour se présenter au palais.
Les yeux de la reine Grâce glissèrent un instant sur les présents, sans réagir, puis revinrent sur ses invités.
— Et vous nous avez amené votre fille.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...