Chapitre 20 : Dansez, Mademoiselle

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Lorsqu'enfin, l'Archeduc montra un début de comportement étrange et s'éclipsa à travers l'entrée des domestiques, Lisabeth décida de tenter sa chance. Elle jeta d'abord un coup d'œil à la ronde pour localiser son père, mais ne discerna celui-ci nulle part ; Michael avait cessé de lui prêter attention quand elle s'était retrouvée à court de questions à lui poser et conversait désormais avec Louise qui était revenue de sa danse. Lisabeth hésita ; il pouvait être dangereux de suivre l'Archeduc de cette façon, surtout si celui-ci préparait un plan peu recommandable, mais l'occasion était trop belle pour la laisser passer. Elle se rassura un instant en sentant le poids de la dague donnée par Isaac qui appuyait toujours contre sa jambe. Oui. Elle pourrait se défendre. Elle devait se lancer.

Sans dire au revoir à ses compagnons, qui ne remarquèrent pas son départ, elle se faufila à travers la salle de bal. Quand elle parvint devant la porte des domestiques, que l'on ne distinguait presque pas tant elle était astucieusement dissimulée dans les teintes et les reliefs du mur, elle réalisa qu'elle ne réussirait jamais à en franchir le seuil avec discrétion. Un ballet de valets entrait et sortait en continu du couloir, lequel devait donc grouiller de personnel. Lisabeth, avec le bleu vivace de sa robe, ne passerait jamais inaperçue, même avec tous les efforts du monde. La demoiselle opta donc pour une autre stratégie : elle leva son nez pointu avec assurance et attrapa au vol le battant de la porte lorsqu'un domestique s'engouffra dans le passage. Elle marcherait dans ce corridor avec l'évidence de celle qui possède les lieux, et si on lui demandait ce qu'elle fabriquait ici, elle inventerait une excuse, qu'elle s'était perdue ou qu'elle cherchait quelqu'un.

Le couloir était éclairé d'un alignement de petites ampoules ; le contraste de luminosité, par rapport à la salle de bal qui étincelait sous le cristal des lustres, lui demanda quelques clignements de paupières avant de s'adapter. Contre toute attente, personne ne lui prêta attention. Les domestiques la dépassaient avec empressement, trop pris par le service pour s'occuper d'elle, et les rares qui remarquèrent sa présence lui jetèrent des coups d'œil perplexes sans proférer d'objection.

Elle dépassa la pièce dans laquelle les valets avaient entreposé les innombrables plats sous cloche en attendant de les amener à la réception. La soirée était déjà bien entamée et pourtant, la nourriture ne décroissait pas. Lisabeth poursuivit son chemin dans le couloir mal éclairé. Le bruit décrut petit à petit dans son dos. Les serviteurs dans leurs froissements de livrée se faisaient moins nombreux.

Elle se retrouva, comme elle l'avait craint, à une intersection. Nulle trace de l'Archeduc, qui avait depuis longtemps quitté son champ de vision, bien avant qu'elle n'entre dans le passage dérobé. Elle jeta un œil dans le couloir de gauche, le plus bruyant et le plus affairé, qui semblait mener aux cuisines. Lisabeth doutait que l'Archeduc se soit engagé dans cette direction. Elle ne savait pas où menait le couloir de droite, mais elle s'y hasarda avec prudence. 

Cette partie du palais était tout à fait déserte. La luminosité avait encore diminué, la plupart des lampes éteintes en l'absence de fréquentation. Il lui semblait évoluer à l'intérieur-même des murs. La jeune femme frissonna. Si l'Archeduc l'agressait dans cet endroit, elle ne pourrait compter que sur elle-même.

Lisabeth compta ses pas. Elle tenta de repérer son orientation, par rapport à la salle de bal et à la direction qu'elle avait empruntée, mais réalisa vite qu'elle ne connaissait pas assez le palais pour comprendre vers où elle se dirigeait. Elle s'enfonça de plus en plus profondément dans les ténèbres, la démarche de moins en moins assurée, jusqu'à songer qu'elle s'était sans doute trompée de direction et qu'elle ne retrouverait jamais l'Archeduc ; elle aurait peut-être meilleur compte à faire demi-tour, avant de se perdre tout à fait ou de se retrouver dans un endroit où elle n'était pas censée entrer.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant