Elle envoya Josué porter les copies à Aife en espérant que les hommes de l'Archeduc ne l'intercepteraient pas. La boutique de l'apothicaire avait déjà été trahie comme un endroit relié à James Eliance ; elle pouvait se permettre un tout petit peu moins de discrétion.
Elle passa les jours suivants à se tordre les doigts dans l'hôtel de son père, malade de désœuvrement. Après avoir déposé les notes, l'énergie la déserta soudain et elle dormit quatorze heures d'affilée, dérangée ni par le jour maussade, ni par les allées et venues du majordome dans la maison, ni par les bruits de la rue au dehors, elle dont le sommeil ne résistait d'ordinaire guère aux plus faibles frémissements. Elle se sentit peu reposée en se réveillant, mais au moins n'accusait-elle plus la sensation que sa cervelle fondait lentement dans son crâne pour s'écouler par ses oreilles et ses yeux. Par la suite, elle ne put qu'attendre, ignorante de l'avancement d'Aife. Elle aurait probablement dû retourner occuper ses appartements au palais royal mais ne s'en sentit pas le courage. Pas seule, pas lorsqu'elle ne pouvait penser qu'aux yeux translucides de l'Archeduc et au mépris haineux de Deny Sezaret, à l'image de son père impuissant avec ses menottes aux poignets ou à la silhouette d'Isaac disparaissant par le balcon. Elle détesta ce manque de courage, mais l'hôtel Eliance paraissait plus sûr.
L'envie de découverte lui était passée depuis leur séance de rangement intensif ; l'envie de lire ne lui laissait qu'un goût fade dans la gorge, son esprit incapable de se concentrer sur le fond de l'écrit, voletant plutôt à chaque inattention en direction des soucis qui la tourmentaient. Plusieurs fois, elle reposa son manuscrit avec un soupir exaspéré. La bibliothèque de son père l'avait pourtant tellement alléchée, auparavant. L'altération de son loisir favori l'affligeait : et si cet écœurement s'avérait définitif ?
Incapable de tenir en place, elle s'aventura un jour au sous-sol de l'hôtel qui, outre une cave à vin considérable qui la tenta pendant un instant déconcertant – depuis quand s'intéressait-elle à l'addiction de son père ? –, comportait un espace aménagé d'un lourd sac de sable et d'un pas de tir. À observer ces équipements, une étrange évidence étincela dans son esprit. Elle pouvait trouver une manière plus utile d'occuper son temps. En explorant plus avant, elle découvrit quelques armes en bois rangées sur un trépied et, parmi le matériel stocké dans l'armoire du fond, une sélection d'armes à feu, de cartouches et le nécessaire à les recharger soi-même.
Immédiatement, elle monta se changer, troquant sa robe pour un pantalon ample et un tricot de corps. Elle attacha ses cheveux indisciplinés vers l'arrière puis banda ses paumes de main à l'aide du rouleau de gaze trouvé dans l'armoire à équipement. Fin prête, elle fit rouler ses épaules, plia quelques fois ses poignets, en particulier le gauche qui demeurait raide et gourd depuis sa confrontation avec l'Archeduc. Lorsque ses expérimentations la satisfirent, elle ramena son bras vers l'arrière et frappa.
Elle avait déversé toute sa véhémence dans le coup. Le sac de sable trémula à peine, mais le choc se réverbéra dans tous les os de son coude, puis de son épaule à lui en faire claquer les dents. Elle mordit la douleur ; loin de la décourager, cela anima un peu plus la rage qu'elle sentait frémir sous sa peau et elle recommença. Frappe droit, corrigea-t-elle. Le pouce à l'extérieur. Amène le mouvement depuis ton dos. Ne casse pas le poignet, ne tétanise pas. Elle avait en fin de compte disposé de très peu de séances pratiques avec Isaac mais il lui avait transmis quelques bases, de posture, de mouvement, insuffisantes pour mener un combat réel mais de quoi a minima cogner un ballot inerte sans se blesser. Elle grimaça lorsque l'impact fit exploser des éclairs à l'intérieur de son poing et se fustigea mentalement en secouant ses muscles endoloris. Frappe droit, blâma-t-elle. La première des règles. C'était avec de telles erreurs qu'on se brisait les derniers os de la main.
VOUS LISEZ
Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
