Chapitre 24 : Les conspirateurs

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Lisabeth tourna la cuillère en argent dans la délicate tasse de porcelaine que l'on avait déposée devant elle, attendant que les arabesques fumantes de son thé s'apaisent pour tenter de porter la boisson à ses lèvres. Elle avait été un peu réticente à répondre à cette invitation de Louise, encore réservée après la rumeur que lui avait rapportée la vicomtesse ; car même si celle-ci avait prétendu ne pas s'en soucier, Lisabeth ne pouvait plus apercevoir le joli visage de Louise sans songer à la façon dont on prétendait qu'elle occupait son temps avec Michael de Talemarne.

Heureusement, l'hôte ne mentionna aucun élément susceptible d'évoquer ces on-dit, et la présence concomitante d'Andrée empêcha tout malaise de s'installer. Lisabeth se laissa aller à écouter les allocutions joyeuses de l'adolescente et les anecdotes déroutantes de Louise. Comme un certain nombre de domestiques allait et venait en permanence dans le salon de thé, elle ne réalisa pas immédiatement la présence supplémentaire ; ce ne fut que lorsque l'arrivant s'immobilisa juste devant leur table que Lisabeth leva enfin la tête et, les yeux écarquillés par la stupéfaction, croisa le regard d'Isaac.

Celui-ci lui rendit une œillade qu'elle ne parvint à déchiffrer, puis s'inclina devant les occupantes de la table. Louise haussa un sourcil aussi gracieux que curieux, apparemment enchantée par la distraction impromptue.

— Madame la Vicomtesse, Mademoiselle Ufiant, salua-t-il. Je suis terriblement navré de cette interruption indélicate, mais je dois délivrer un message à Mademoiselle Eliance. – Dès que Louise l'eut invité à poursuivre avec un gloussement insouciant, il se tourna vers Lisabeth et annonça : – Mademoiselle, votre père souhaiterait s'entretenir avec vous de toute urgence.

Lisabeth s'appliqua à bannir l'inquiétude de son visage. Un millier de questions se bousculait sur ses lèvres, qu'elle avait bien conscience de ne pouvoir poser en ce lieu et cette compagnie. Elle tenta tout de même de les convoyer à Isaac d'un regard insistant, espérant ainsi pouvoir détecter quelque chose, une miette d'indice dans les iris sombres de l'assistant ; ceux-ci demeurèrent fâcheusement impénétrables.

— Je... très bien, j'arrive, Isaac, bredouilla-t-elle. Accordez-moi un instant.

Le second de son père salua à nouveau puis quitta le salon. Lisabeth dut s'astreindre à organiser la ruée de pensées qui submergea ses esprits, non sans remarquer la ride soucieuse qui avait froncé la peau d'Andrée dès la communication délivrée.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? marmonna la plus jeune. Qu'est-ce que tu crois que ton père te veut ?

Lisabeth posa sur le bras de son amie une main qu'elle voulait rassurante, là où elle-même ne ressentait que fébrilité.

— Rien d'important, je pense, certifia-t-elle d'une voix étrangement posée. Je suis navrée de vous quitter de façon aussi cavalière, mais il va falloir que je prenne congé...

Louise, elle, observait toujours l'endroit où avait disparu Isaac avec une expression contemplative, son menton déposé élégamment sur sa main.

— Quel délicieux jeune homme, décida-t-elle. Très exotique. Où l'avez-vous donc déniché, Lisabeth ?

L'interpellée s'arrêta au milieu de son mouvement pour se lever de sa chaise et dévisagea Louise d'un air incrédule. Sans qu'elle ne comprenne vraiment la violence de cette réaction, elle se sentit saisie d'une brutale bouffée d'agacement. Exotique ? Mais pour qui se prenait-elle ?

— Isaac est l'associé de mon père, Louise, rétorqua Lisabeth d'une voix froide. Je vous en prie, essayez de vous montrer un tout petit peu plus respectueuse à son sujet.

La vicomtesse n'esquissa qu'une moue peu bouleversée par la soudaine remontrance.

— Oh, pardon, je ne pensais pas qu'il était chasse gardée...

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant