Ambre

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Ambre quitta son comptoir derrière lequel elle avait passé une bonne partie de la matinée. Elle se déplaçait avec agilité, les bras chargés de pintes de bière fraîches qu'elle distribuait aux clients. Il y avait du monde à la taverne à cette heure du déjeuner. La jeune femme passait de table en table, prenait les commandes et amenait les plateaux.

Le repas concocté par Beyrus, patron de la Taverne de l'Ours, se composait d'une bouillie de choux et de lard, accompagnée de pain de seigle et d'un quart de fromage. Peu élaboré, le menu avait néanmoins l'avantage d'être chaud et copieux.

La taverne s'ancrait dans un style rustique avec ces murs en pierre et ces poutres apparentes qui reliaient le parquet jusqu'aux solives de plafond. Un délicat fumet s'échappait de la marmite en fonte accrochée sur la crémaillère de l'immense cheminée. En ce lieu convivial, la clientèle se révélait exclusivement noréenne ou issue de la basse classe aranéenne.

Une fois qu'Ambre eut fini de servir les clients, elle s'accouda au comptoir puis s'alluma une cigarette et contempla la pièce d'un œil vague. Ses cheveux roux, tirés en arrière par une queue-de-cheval haute, ondulaient le long de son dos et laissaient échapper une mèche rebelle qui venait se frotter contre son visage bardé de taches de rousseur.

Âgée de seize ans, la jeune femme portait un vieux pull vert à carreaux rouges sur lequel un médaillon en forme de chat était épinglé. Devenu trop étriqué pour sa nouvelle physionomie et faute de gagner assez d'argent pour s'en procurer un neuf, ce vêtement moulait sa poitrine ainsi que ses hanches galbées. À l'instar de son jean délavé, rentré sous une paire de bottes.

Son patron entra dans la salle afin de s'emparer de la marmite suspendue dans le foyer. De sa voix grave, Beyrus salua la clientèle et souleva le contenant de la force de ses bras. Le colosse avait la peau basanée et le crâne rasé. Pourvu d'une pilosité brune hors du commun, d'une grosse moustache et d'un menton carré qui lui donnait en permanence un air hargneux, il représentait fidèlement son animal-totem, l'ours brun, symbole de son échoppe.

Ambre esquissa un sourire en le voyant faire. Elle appréciait cet homme qu'elle considérait comme un second père et ce depuis les trois ans qu'elle travaillait ici en échange d'une paye convenable.

— Tu comptes rester longtemps à rêvasser, ma grande ? lança le géant d'un ton bourru. Les plateaux ne vont pas se débarrasser tout seuls !

— Bien sûr, patron ! répondit-elle, sortie de sa flânerie.

Après avoir débarrassé les derniers clients, Ambre nettoya les tables avec un torchon humide puis récupéra les miettes qu'elle mit sur le rebord de la fenêtre pour les donner aux oiseaux. Elle était en train de récurer les verres lorsque la porte de la taverne s'ouvrit. C'était Adèle qui venait rejoindre sa sœur pour faire le trajet du retour en sa compagnie. L'aînée la fit asseoir au comptoir et lui servit un verre de lait tiède pendant qu'elle finissait ses tâches.

— Comment s'est passé ta journée ma Mouette ? demanda-t-elle alors qu'elle ramassait les verres vides pour les mettre dans l'évier. Tu as appris des choses ?

— Oh oui ! fit la petite d'un ton jovial. On a eu un cours de biologie. La maîtresse nous a montré des animaux et on devait dire lesquels venaient de chez nous et lesquels venaient de la Grande-terre. J'ai eu tout bon... enfin presque ! Puis on a eu un cours d'histoire puis on a dansé et...

Ambre ne l'écoutait que d'une oreille. Comme à son habitude, Adèle piaillait comme une mouette, sa petite voix flûtée débitant un nombre incalculable de mots à la minute.

— Ah ! et la maîtresse a dit qu'il y a un loup qui rôde sur l'île ! Elle nous a dit de ne pas rentrer seuls... Mais moi j'aimerais bien le voir ce loup !

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