Le seisme

3 1 0
                                    

Alexander ouvrit lentement un œil, un voile vitreux collé sur la rétine. Il se redressa légèrement, tentant de récupérer ses esprits et d'analyser au mieux la situation. Ses mains plaquées sous son torse ressentaient les vibrations du sol. Encore allongé, il tourna la tête et vit l'ensemble du groupe dans la même position. Seul Rufùs était debout et patrouillait d'un air anxieux.

Le Baron poussa sur ses bras et se mit en position assise, le dos appuyé contre la fontaine où plus aucun filet d'eau ne s'échappait de la gueule du reptile. Il prit une profonde inspiration qui le fit tousser puis disposa ses mains en coupelle et les plongea dans le réceptacle du bassin. À peine effleurèrent-elles la surface de l'eau qu'une douleur le foudroya. Il lâcha un juron et contempla ses paumes dont l'une d'elles était entaillée. À vue d'œil, la blessure paraissait superficielle. Il scruta le sol jonché de cailloux et vit l'un d'eux maculé de sang. Il déchira un pan de sa chemise, l'enroula autour de la plaie et fit un nœud plutôt serré pour la comprimer au mieux.

Son bandage effectué, il soupira et regarda les autres membres. Aucun n'avait l'air blessé hormis Pieter qui boitillait. La duchesse tout comme le marquis présentaient des traces de salissures au niveau des genoux et des avant-bras. James, quant à lui, était assis sur le rebord de la fontaine, tenant entre ses mains la boîte noire encore intacte.

Des cris et des hurlements résonnaient en écho, des gens parlaient entre eux par fenêtres interposées. Les voix trahissaient l'angoisse et le désarroi des résidents, accompagnés par les jappements incessants des chiens aussi apeurés que leurs maîtres. Des bruits de roches retentissaient, dégringolant le long des parois de la falaise annexe. Les pierres fissurées par les secousses du séisme lâchaient prise et s'échouaient sur le rivage, caracolant sur les galets de la plage en contrebas. Il en allait de même pour les habitations où les fondations des vieilles bâtisses cédaient.

— Que s'est-il passé ? demanda mollement le marquis.

— Mon père, répondit Irène en se redressant.

— Pourquoi donc ?

Irène se massa les yeux et haussa les épaules.

— Je n'en sais rien, mais au vu de l'heure je dirais qu'Alfadir a reçu le message et a renoué contact avec son frère.

Une quinte de toux l'assaillit. La crise passée, elle s'avança vers le Baron pour prendre la toque qu'elle examina puis caressa tendrement. Hormis quelques taches de terre et traces de sang, la coiffe était intacte et disposait encore de la clé accrochée. Soulagée, elle la remit sur sa tête et tendit généreusement sa main à l'homme. Surpris par son geste, Alexander lui tendit sa main valide et se redressa. Une fois debout, il épousseta son veston et se munit de son arme. Irène leva la tête et observa la harpie qui, redevenu calme, gardait les yeux rivés vers l'Ouest.

— Je suppose, au vu de l'ampleur des secousses, que père a dû détruire l'entièreté du port.

— Dans quel but ? maugréa Rufùs.

— Je n'en sais rien, rétorqua-t-elle tout en tenant le bras du marquis, certainement pour sceller l'accord et empêcher quiconque de fuir l'île pour rejoindre Pandreden.

— Comment ose-t-il ! fulmina-t-il. Combien de centaines voire milliers de victimes votre père vient-il de faire ? Jörmungand ne s'intéresse-t-il pas au sort de nos peuples ?

La duchesse plissa les yeux et lâcha le bras de Lucius.

— Que dites-vous ? Je vous trouve bien hypocrite, Ulfarks, pour un homme qui peu de temps auparavant vient de massacrer une bonne vingtaine de personnes !

Norden AnthologieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant