Éreinté par sa journée de travail, Théodore prit parti de rejoindre directement le Cheval Fougueux afin de résilier son contrat et récupérer la somme de son labeur. Voilà maintenant plusieurs semaines qu'il n'avait pas foulé un pied dans l'établissement de peur de trahir moralement sa dulcinée en s'acoquinant auprès d'un autre. Bien que celle-ci ne lui eût jamais fait part de la moindre remontrance ou réflexion à ce sujet.
Étant donné que leurs parents respectifs étaient au courant de leur accointance, ils ne se donnaient plus la peine de ne se voir que les mardis et les jeudis. Cependant, la demoiselle souhaitait conserver un semblant de tranquillité et de solitude, s'octroyant au moins trois journées dans la semaine rien que pour elle.
Le brunet était chagriné de ce fait, la présence de cette femme était devenue pour lui d'une importance primordiale. Il songeait amèrement à ses souvenirs où, deux ans auparavant, il se moquait de l'emprise que Meredith avait sur son ami. À présent, il vivait exactement le même déchirement qu'Antonin lorsqu'il se retrouvait séparé de sa moitié plus d'un jour durant. Or, les moments passés aux côtés de sa douce étaient si intenses qu'ils chassaient tout sentiment de morosité dans ce cœur d'amoureux transit, désireux de partager ce trop plein de bonheur, allant jusqu'à oublier les tensions latentes de plus en plus virulentes présentes sur le territoire.
Malgré cela, ses missions politiques augmentaient car le maire von Tassle, ayant repris du poil de la bête depuis que sa protégée était revenue sous son toit et guérissait, continuait de poursuivre son ambition.
Une fois dans l'enceinte du cabaret, il se dirigea dans l'une des salles du fond où il résilia son contrat et récupéra son dû. Alors qu'il faisait demi-tour, il tomba nez à nez avec un groupe de soldats de Wolden. Deux d'entre eux l'alpaguèrent tandis que le dernier entretenait une conversation solennelle avec un des employés du bar.
— Tiens tiens ! s'exclama l'un d'eux en tendant une main vers lui. Ne serait-ce pas le jeune marquis von Eyre ?
Théodore, désarçonné, tendit sa main en retour et la lui serra. Il fit de même avec le second qui se montrait tout aussi aimable que son camarade. D'un geste de la main, les deux comparses l'invitèrent à s'asseoir et commandèrent une bière à son intention.
— Que puis-je pour vous messieurs ? parvint-il à articuler une fois qu'il eut trinqué en leur compagnie.
— Oh ! vous ne nous devez rien cher marquis. Votre père est un incroyable filou, savez-vous ? Nous sommes heureux de voir que malgré les apparences, c'est auprès de l'Élite qu'il garde allégeance. Certes il n'en reste pas moins un partisan de ce Chien qui vous sert de maire, mais au moins est-il assez raisonnable pour poursuivre ses petites affaires en notre compagnie.
— Un charmant homme qu'est votre père, renchérit le second, ou un félon, c'est selon. Après tout, un homme de sa veine ne possède que peu d'honneur et n'a foi qu'en l'argent et en la renommée.
Le jeune marquis n'osait rien dire, tentant de dissimuler son émoi afin de paraître imperturbable face à ces faits dont il n'avait nullement connaissance. Que manigançait son père pour servir les intérêts des deux camps ? Ralliait-il également la cause de von Dorff en plus de celle de Laflégère et des citoyens de Wolden ou encore celle de von Tassle ? Jouerait-il sur les trois tableaux ? Quelle folie si tel s'avérait être le cas ! La gorge nouée, il écoutait passivement ces deux soldats en uniformes et armés.
Un troisième, beaucoup plus âgé que ses acolytes, se joignit à eux. C'était un grand homme d'une bonne cinquantaine d'années aux cheveux grisonnants et aux yeux noirs brillants. Sous ses airs dignes de prédateur, il semblait épuisé. D'une poigne virile, il salua le marquis et s'installa face à lui, le considérant comme une chose insignifiante tant Théodore paraissait si chétif en comparaison de sa personne qui devait faire le double de sa carrure tant il était taillé comme un dogue.
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Norden Anthologie
Mistério / SuspenseIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...