Cours particuliers

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Le soleil était à son zénith lorsqu'Ambre sortit du bâtiment. Sur le toit, le drapeau aranoréen flottait à la brise, produisant un claquement sourd. Elle continua son chemin et passa devant la boulangerie de la Bonne Graine dont les effluves de pain et de viennoiseries tout juste sorties du four embaumaient l'air d'un parfum enivrant. Les prix affichés étaient encore et toujours délicieusement indécents. Cependant, elle était désormais capable de reconnaître la plupart des douceurs trônant derrière la devanture. Celle-ci foisonnait de gâteaux, d'entremets ainsi que de diverses pâtisseries et tartes aux fruits.

Ambre avait pris l'habitude de s'y rendre au moins une fois par semaine pour faire plaisir à sa cadette, grande amatrice de ces gourmandises qu'elle dégustait avec félicité. La petite allait jusqu'à lécher les miettes et la crème qui se trouvaient sur l'emballage, suçant le bout de ses doigts, les coins de la bouche barbouillés et gloussant devant l'air réprobateur de son père adoptif lorsqu'il la voyait faire.

Au centre de la place, elle s'arrêta et examina la statue du Duc Vladimir von Hauzen, le fondateur de la ville, maculée de peinture écarlate. Sur le socle était écrit au pinceau, en écriture dégoulinante et grossière : à mort l'Élite. À cette vue, la jeune femme ne put s'empêcher d'afficher un sourire satisfait. Cela faisait plus d'une semaine que la statue avait été dégradée. La peinture était tenace et, selon les dires des employés municipaux, « terriblement compliquée à enlever ». Or, monsieur le maire ne semblait accorder que peu d'importance à cette « outrageuse et odieuse dégradation sévèrement réprimandable » avait-il déclaré lors d'une audience publique bien qu'Ambre put déceler un soupçon de satisfaction dans son regard.

Elle poursuivit sa route et descendit l'avenue principale, menant en plein cœur de la basse-ville. À cette heure du déjeuner, les rues étaient animées et les gens s'activaient. Varden, contrairement à Iriden, n'avait pas encore subi de réels dommages et dégradations. Pour l'instant, les deux partis se contentaient de placarder les murs d'affiches, de distribuer des tracts et d'entonner des discours de propagande.

La basse-ville était reconnue comme étant favorable au parti de l'Alliance en raison de sa population majoritairement noréenne. Au fil des jours, les fenêtres arboraient de plus en plus de drapeaux aranoréens, pourtant jusque-là exclusivement sortis lors de l'Alliance.

Ambre s'engouffra dans la taverne. Son patron venait de préparer le repas et un appétissant fumet de viande bouillie s'échappait de la marmite accrochée à la crémaillère. L'odeur la réconfortait, empreinte de souvenirs car les plats du manoir, bien que raffinés et cuisinés à la perfection, manquaient de cette touche rustique procurée par une large portion de beurre ou l'ajout d'une sauce trop grasse, si caractéristique de la cuisine des gens modestes.

Après sa journée de travail, elle prit la direction du manoir. Pendant sa marche, elle aimait rêvasser, se laissant bercer par l'animation des villes. Le chemin était si différent de celui qu'elle empruntait autrefois lorsqu'elle arpentait les campagnes désertes. À présent, elle parcourait les rues agitées, foisonnantes de monde, recevant à son passage de nombreuses remarques, tantôt bienveillantes tantôt insultantes. Puis elle passait devant les parcs où des jeunes flânaient et se reposaient dans l'herbe, profitant de ces belles journées de printemps.

Souvent, Anselme la rejoignait sur le chemin du retour, se perchant sur son épaule en roucoulant. Avec amertume et une pointe de tristesse, Ambre regardait les couples qui se tenaient la main ou s'échangeaient des baisers passionnés à l'ombre des arbres. Malgré la métamorphose de son fiancé, elle avait pris soin de garder son anneau, épinglé à côté de son médaillon, en souvenir de son engagement envers l'homme qui se tenait à ses côtés sous la forme de corbeau, et dont la mémoire ne devait plus avoir conservé grand-chose de sa vie passée.

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