Un nouveau départ

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Quand le voilier regagna la côte, non loin de la baie où sa maisonnée se trouvait établie, Erevan voulut ralentir l'allure. Bien maladroite dans le maniement d'une si grosse embarcation, surtout sous ce ciel outremer qui s'assombrissait au fil des minutes, ses mains tremblaient. Ses gestes se révélaient hasardeux au point qu'elle ne savait comment réagir pour faire baisser drastiquement la vitesse de la voile emportée par les vents et éviter un naufrage.

Alors qu'elle se penchait pour dénouer un lien qu'elle avait trop serré, elle sentit soudainement la brise et la corde devenir moins capricieuses. Intriguée, elle redressa la tête et remarqua que Jörmungand était à bord. L'homme avait déjà replié l'une des voiles dans le plus grand silence et s'apprêtait à l'aider pour la seconde. Pour se faire, il se posta juste derrière elle et passa ses bras de chaque côté de sa taille pour venir lui prendre la corde des mains et y ôter le nœud.

— Attends, regarde, je vais te montrer !

Le souffle de sa voix parcourut sa nuque en une caresse chaude et délicate qui la fit frissonner. Elle rougit lorsqu'elle sentit son menton se poser sur son épaule, pressant naturellement son visage contre le sien. Il lui montrait les gestes à adopter, défaisant le nœud avec lenteur et mesure. Incapable de se concentrer, la jeune femme ne bougeait guère et le regardait faire d'une attention distraite.

La voile repliée, le navire ralentit. L'homme se plaça derrière le gouvernail et manœuvra le navire avec aisance tandis qu'Erevan, la face écarlate, s'avança vers la proue et s'assit avec nonchalance. Les bras croisés sur la rambarde, elle y appuya son menton et regardait devant elle. Des gouttes d'eau glacée venaient se percuter contre son visage, dégoulinant pour venir s'échouer dans ses cheveux.

— C'est un très beau voilier que tu as choisi, annonça-t-il après avoir fini l'inspection du pont.

Elle se retourna et lui adressa un sourire. Dans le noir, elle ne distinguait plus les traits de son visage, sa silhouette d'hermine presque entièrement nue hormis un pagne écru pour lui couvrir le bas-ventre, mais la lumière de ses yeux demeurait intacte, brillant tels des phares dans la nuit.

— C'est vrai, vous trouvez ?

Il acquiesça et gara l'embarcation avec une maîtrise parfaite. Sans attendre, Erevan tâtonna pour amarrer l'avant au ponton. La vieille barque faisait pâle figure à côté de ce voilier de neuf mètres de longueur. Une fois le navire stabilisé, elle se leva et croisa les bras, observant l'homme terminer d'attacher solidement les cordages des voiles. Il se redressa à son tour et soutint son regard sans mot dire.

Elle voulait lui proposer de rester dîner à bord, en sa compagnie, en toute simplicité. Cependant, elle ne parvenait pas à lui annoncer une telle invitation, les mots stagnaient dans sa gorge, incapables de franchir le seuil de ses lèvres qu'elle mordillait frénétiquement.

— Avec plaisir, finit-il par répondre, ne souhaitant pas la tourmenter outre mesure.

Elle eut un petit rire puis s'en alla en sa demeure pour y récupérer de quoi préparer un dîner digne de ce nom. Jörmungand l'observa s'éloigner, attendri devant son assiduité mais également ému par son trouble qu'il ressentait dans les vibrations qu'elle émettait.

En attendant son retour, il explora le voilier, caressant chaque surface madrée ; c'était un bien bel engin, de l'ouvrage de qualité ayant bien plus de valeur à ses yeux que les quelques pierreries, certes bien jolies et colorées, qui avaient servi à l'acheter. Erevan revint, les bras chargés d'une lourde cagette remplie de légumes et de bocaux. Il s'abaissa et lui prit le paquetage alors qu'elle grimpait.

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