Rancune et revanches

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Terrassée par le flot de révélations qu'elle venait d'apprendre, Ambre gisait comme morte, étendue sur le plancher glacé de cette pièce capitonnée. Son front bossu et violacé la lançait. Voilà maintenant plusieurs heures qu'elle était enfermée aux côtés du capitaine. Le dos appuyé contre le mur et les jambes repliées contre son torse, ce dernier contemplait devant lui. Ils étaient seuls, enchaînés aux barreaux du radiateur en fonte.

— Rassure-toi minette, ils ne te feront rien. Bientôt, tu seras saine et sauve auprès de ta tante et de ton grand-père. Pour ta gouverne, j'ai menti tout à l'heure. Un petit mensonge de trois fois rien pour obtenir grâce à leurs yeux et espérer avoir une place de choix au sein de l'Hydre qui, je l'espère, tiendra les rênes du pouvoir et évincera le maire actuel. Ne m'en veux pas, mais je déteste ton futur mari et souhaite lui infliger une petite revanche pour l'arrestation portée à mon encontre il y a dix ans.

Il se tut et laissa un silence. Malgré son absence de réponse, il savait qu'elle l'écoutait.

— Dommage que Dieter et ses partisans n'aient absolument rien cru de mes dires, de vrais salopards bornés et obstinés malgré leurs fonctions. Je dois bien les respecter cela dit, il faut savoir caresser le pouvoir dans le sens du poil pour espérer une place alléchante où prospérer. Je me serais délecté de les savoir avides d'en apprendre davantage sur les gouvernants de Norden. C'est à croire que je ne suis pas assez intimidant à leurs yeux.

Il tapota la cuisse de la jeune femme.

— Il n'y a que ta mère qui a su courber son échine devant moi et mes deux amis. La seule désespérée prête à tout pour te sauver, c'en était fort touchant. Une beauté comme elle, difficile de voir cette blonde élancée et aux manières si nobles être d'origine noréenne de prime abord. Dire que ta sœur était dans son ventre, une chance qu'elle ne conservera aucun souvenir de cela.

Il ricana, se délectant de ce souvenir. En tendant l'oreille, il entendit son interlocutrice grogner.

— La fille de Jörmungand, qui l'aurait cru ! Sache que le Serpent, ton grand-père, tient également à toi, autrement que comme un vulgaire pion j'entends. Jamais il ne supporterait les moindres sévices portés à ton encombre, qu'importe que tu sois apte à enfanter ou non. Ça me rebute de te le dire, mais ta vie compte plus que celle de n'importe quel citoyen à l'heure actuelle. Tu es notre ultime atout, la seule qui peut nous offrir une alliance durable entre Charité et Norden. Alors ne fais pas de bêtise et surtout même si tu en as la capacité une fois la drogue dissipée, ne te transforme pas si tu ne veux pas que tous les habitants de l'île meurent par ta faute ! Y compris ta sœur adorée ! Quel sombre héritage que le Féros, un véritable fléau quand on sait ce que deviennent certains porteurs, femelles comprises. Quant à l'empereur, sache que...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que des bruits de pas, suivis des cliquetis métalliques d'une clé s'engouffrant dans une serrure résonnèrent. La porte s'ouvrit et Alastair ainsi que deux de ses hommes entrèrent.

— Aller... il est temps de passer aux choses sérieuses, trancha-t-il, les poings fermés.

Sans la moindre délicatesse, le marquis libéra Ambre et la prit par le collier, la traînant dans ces couloirs lugubres.

En arrivant dans la salle, la captive blêmit en voyant Alexander assis devant le bureau, la mine déplorable, éreinté d'avoir encaissé tant de brimades depuis qu'il s'était rendu à la mairie voilà plus de trois heures. Il tenait entre ses doigts un stylographe qu'il lâcha après avoir signé le document tant convoité par ses adversaires. Puis il se leva pour aller la rejoindre et l'enlaça. Ambre accueillit son élan avec une sensation de bonheur mêlée d'angoisse.

Norden AnthologieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant