Gâteries et cajoleries

4 1 0
                                    

Théodore vit la duchesse s'éloigner pour monter dans le fiacre. Le cocher fouetta les croupes de ses bêtes qui s'engagèrent au trot le long de l'avenue. Confus par la tension latente, n'osant imaginer l'état dans lequel se trouvait sa belle-sœur, il entra dans la demeure. Dans l'entrée, il dévêtit ses épais apparats d'hiver pour ne rester qu'en simple veston, ne conservant sur lui que sa sacoche. La température dans la maison était agréablement chaude.

Une fois ses aises prises, il prit la direction du salon où il aperçut Blanche assise sur le fauteuil, proche de la cheminée, sa chatte Prune présente sur ses genoux. Elle était étonnamment séduisante ainsi, les joues léchées par les flammes. Ce tableau, qui lui rappelait tant leur fameuse après-midi dans cette cabane d'infortune, eut le don de diminuer l'anxiété qui le tenaillait.

Il prit place sur la banquette d'en face et l'examina avec soin. Irène ne mentait pas, Blanche n'était pas au mieux au vu des soubresauts qui parcouraient son corps par intermittence, à la manière de spasmes, suivis de faibles gémissements étouffés. Elle empoignait les poils de sa chatte et la caressait avec une certaine crispation.

Il soupira et tenta de ne pas s'attarder sur son hôtesse, visiblement peu encline à faire la conversation.

— Rien ne te retient ici, tu sais, lâcha-t-elle au bout d'un moment, tu peux partir. Je me débrouillerais seule.

La chatte miaula aigu. Manquant de griffer sa maîtresse, elle feula et sauta de son perchoir pour s'éloigner.

— Je suis désolé pour toi, mais je reste. Que tu le veuilles ou non ! Ta mère a raison, tu ne vas pas bien. Et si je prends le risque de partir ne serait-ce qu'un quart d'heure et qu'il t'arrive malheur, je ne veux pas me faire étriper par ta mère suite à cela !

Il l'entendit grogner mais elle ne rétorqua rien. Las de regarder le feu crépiter, il ajouta plus mesquin.

— Tu sais, j'ai une très jolie occupation pour toi, mademoiselle. Si jamais tu n'es pas trop occupée à contempler ces flammes. Certes elles sont très jolies et ça réchauffe, mais on peut s'occuper autrement devant la cheminée.

Il la vit se reculer et écarquiller les yeux, paraissant scandalisée. Comprenant cette phrase ambiguë, il ajouta :

— Ah non ! il n'y a rien de malsain ! fit-il en sortant de son sac un livre relativement épais et ancien. J'ai ceci pour toi, comme tu me l'as demandé. Je me suis dit que ça te permettrait de t'évader un peu même si je comprends pas réellement ce que tu recherches là-dedans. Il date un peu.

En voyant le livre, son visage se radoucit. D'un geste machinal, elle tendit les bras vers lui afin qu'il le lui remette. Il ricana, se leva, puis le lui glissa dans les mains. Comme happée par cet ouvrage, elle caressa la surface rêche de la couverture abîmée sur lequel le titre, Aranoréen Gentem Hrafn 230–259, était écrit en lettres dorées. Elle l'ouvrit et le feuilleta avec lenteur, les pupilles parcourant ces listes de noms et de chiffres.

— Merci ! fit-elle en lui adressant un faible sourire.

Elle pressa le registre contre sa poitrine, le gardant jalousement au creux de ses bras frêles.

— Tu me le redonneras au plus vite, n'est-ce pas ? Car si von Tassle remarque sa disparition, je risque de finir empalé sur la Grand-Place aux côtés de la statue de ton vénérable ancêtre.

— J'y veillerai, je ne serai pas longue.

Elle se redressa avec lenteur, soutenant une nouvelle fois son ventre d'une main molle. Légèrement titubante, elle se rendit vers la grosse armoire en bois sombre et posa l'ouvrage à l'intérieur, le cachant bien au fond afin de s'assurer que personne ne mettrait la main dessus.

Norden AnthologieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant