Rencontre inopinée

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Blanche regagna sa chambre d'un pas hâtif, peu encline à faire la conversation auprès de sa sœur et de ces deux mufles, l'attitude de Meredith l'avait outrée. Comment osait-elle se comporter de manière aussi répugnante en se collant telle une sangsue à ce blond boutonneux, faisant fi de toute convenance, et ce, devant ce brunet arrogant et pervers ?

Arrivée dans ses appartements, elle toussa et fit une moue de dégoût en humant les effluves de cèdre qui imprégnaient l'air ambiant. Elle plaqua une main à sa bouche et réprima un haut-le-cœur. D'aussi loin qu'elle se souvenait, jamais elle n'avait supporté pareil remugle. Pour chasser immédiatement cette pestilence, elle alla à la fenêtre qu'elle s'empressa d'ouvrir en grand et prit ensuite une série de profondes inspirations. Légèrement radoucie, elle entreprit d'observer sa nouvelle vue.

De l'autre côté de l'avenue, les habitations se ressemblaient, construites dans un même charme architectural avec cette façade en pierre blanche et ces toits mansardés parcourus de chiens assis et cheminées. Des plantes grimpantes aux couleurs éclatantes s'enroulaient entre les barreaux des hautes grilles en fer forgé qui séparaient les propriétés. Les seules distinctions demeuraient dans les éléments de décoration, sculptures, fontaines et arbustes, qui égayaient les courettes fleuries.

La duchesse soupira et s'accouda sur le chambranle avant de laisser le voile rose de ses paupières clore ses yeux. Le bruit d'un subtil battement d'ailes la réveilla de sa torpeur. Elle redressa la tête et aperçut un rouge-gorge posé sur la rambarde. L'oiseau semblait l'observer avec curiosité, posant sur elle ses globes noirs rutilants.

Blanche fut amusée de revoir ici ce petit compagnon qui venait régulièrement lui rendre visite à son ancien manoir. Il était un messager que sa mère appelait Aorcha et comprenait les ordres qui lui étaient donnés d'exécuter. Probablement s'agissait-il d'un noréen transformé, un parent de sa mère dont la fille ne connaissait ni l'origine ni l'identité.

Elle s'apprêtait à le caresser lorsque la porte d'entrée s'ouvrit à la volée. Surprise, elle se pencha et vit le marquis von Eyre s'extirper du manoir puis fuir les lieux d'une démarche aussi rigide que précipitée.

Elle n'eut pas le temps de s'interroger sur la chose qu'elle entendit Meredith gravir les escaliers en tapant des pieds, visiblement furieuse. Antonin la suivait, essuyant un flot de paroles acerbes qu'elle lui débitait sans gêne alors qu'il tentait par tous les moyens possibles de s'excuser. Ils rejoignirent leur chambre et se houspillèrent plusieurs minutes durant avant qu'elle ne parvienne à se radoucir et que plus aucun bruit ne se fasse entendre.

Isolée dans sa nouvelle chambre, Blanche rangeait ses affaires qu'elle avait entassées dans son unique malle conservée. Elle pliait méticuleusement ses vêtements ou les accrochait à des cintres dans l'armoire prévue à cet effet. Le meuble avait été ôté de tous les biens afin de libérer l'espace pour la jeune hôtesse. La mine rêveuse, elle triait ses livres, garnissait sa bibliothèque, posait sur une console ou une commode sa trousse de beauté et ses flacons de parfum. Enfin, elle disposa deux cadres sur sa table de chevet.

Le premier encadrait sa photo de famille tandis que le second était un dessin de ses chats, Châtaigne et Prune, dont le premier, un petit chat de gouttière gris tigré, était porté disparu depuis plus de quatre mois. L'autre félin dormait en plein milieu de son lit, soupirant d'aise. L'animal n'avait pas l'air malheureux dans son nouveau logis, ronronnant de tout son saoul, les yeux clos et le poitrail bien visible, laissant entrevoir son flanc parsemé de longs poils écrus.

Blanche terminait de ranger ses vêtements lorsqu'elle entendit les barreaux du lit de la chambre voisine taper contre les murs. Elle ferma les yeux et inspira, tentant de faire abstraction des gémissements de sa sœur. Or, lorsque les claquements de peau et les râles de l'homme commencèrent à se faire entendre, conjugués aux vocalises aiguës de sa jumelle, Blanche ne le supporta plus et descendit.

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