Nouvelles fonctions

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Une redingote sombre et cintrée enfilée avec grâce suivi d'un dernier coup de peigne passé dans ses cheveux noir ébène, le garçon sortit de sa salle de bain. Il se chaussa de ses souliers vernis et se munit de ses lunettes avant de quitter son manoir pour rejoindre son travail à la mairie. Fier de sa condition, il dodelinait dans les couloirs en adressant des sourires désobligeants à son personnel. Il descendit les marches du grand escalier et aperçut son père dans le hall d'entrée.

Âgé d'une cinquantaine d'années, Wolfgang finissait de se préparer, enfilant son éternel manteau d'un vert vif et s'emparant de sa canne d'argent où une tête de mante religieuse faisait office de pommeau.

Comme chaque matin avant de sortir, il prenait bien soin de contempler son reflet sous toutes les coutures. Une myriade de miroirs ornaient les murs en compagnie de tableaux de maîtres, de sculptures et de pièces d'orfèvrerie qu'un homme riche était avide de posséder, qu'importe le bon goût. Arrivé à sa hauteur le garçon le salua poliment.

Alors que l'homme replaçait une mèche de ses cheveux cendrés, la plaquant derrière l'oreille pour mettre en valeur ses yeux vert-d'eau cernés de fines rides, il arrêta son affaire. Lentement, il détourna son regard de sa personne pour venir scruter de haut le fruit de ses entrailles.

— Tu m'as l'air bien en forme, répondit-il en haussant un sourcil, sceptique.

Le garçon ricana et planta ses yeux céladon dans ceux de son patriarche.

— Hum... disons que j'attaque mon premier jour de travail à la mairie, qui n'est pas sans me déplaire. Même si je me passerais volontiers de la présence de monsieur von Tassle. Enfin, au moins aurais-je le plaisir de voir Antonin. Il est censé commencer aujourd'hui lui aussi.

Le père émit un grognement et retroussa le haut de sa lèvre, marquant une moue dédaigneuse.

— Tâche de ne plus commettre le moindre impair, Théodore ! le rabroua-t-il en le dardant de sa canne. Je te préviens que si jamais tu oses une nouvelle fois te faire remarquer ou souiller ma réputation, je t'assure que tu assumeras tes actes devant la justice et que tu supplieras par toi-même von Dorff et la cour de te laisser en liberté !

Le garçon devint blême et son sourire disparut. Demeurant stupide, il déglutit péniblement et baissa la tête afin de faire profil bas ; il savait que son père était encore furieux. Même un an après le fameux incident, il ne lui pardonnerait de sitôt l'immense affront que son fils avait commis, mettant en péril sa notoriété, son prestige ainsi que sa fortune. Pire ! d'avoir osé ébranler son égo déjà fortement impacté par de multiples scandales.

Après avoir murmuré un mot d'excuse, Théodore poursuivit sa route et sortit, honteux de l'avoir courroucé de si bon matin. Dans la cour, les cochers attendaient docilement leurs maîtres, perchés sur leurs véhicules, prêts à partir pour les conduire sur leurs lieux de travail respectifs.

Une fois monté à bord et la voiture engagée au trot, il soupira et tenta de diminuer ses ardeurs en observant le paysage. Las, il regardait sans une once d'intérêt les manoirs de ses pairs, tout aussi somptueux que le sien. Au bout d'une poignée de minutes, son regard fut happé par la silhouette de mademoiselle Blanche qui marchait tranquillement sur le bord de la route pour se rendre à Iriden.

Lorsque le fiacre la dépassa, il ne put s'empêcher de se retourner pour contempler son visage dans les moindres détails, enchanté par cette femme d'une incroyable beauté qui lui avait toujours paru inaccessible, tant par son statut de duchesse que par son origine aranoréenne. Jamais son père ne lui aurait permis de s'acoquiner avec une femme de sa veine malgré sa condition.

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