Réflexion

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Préoccupée par les dires de son père, Blanche marchait d'un pas lent en direction du parc afin de s'aérer l'esprit. Elle prit place sur un banc isolé, à l'ombre d'un vieux chêne, et regardait les oiseaux qui s'ébrouaient dans la fontaine juste en face. Ses yeux étaient voilés par les larmes qu'elle tentait de réfréner pour masquer son émoi en public.

Elle patienta un moment dans ce jardin paisible, bercée par les chants de rossignols et le bruissement des feuilles frémissant à la brise. Alors qu'elle se levait pour rentrer, elle aperçut au loin une silhouette familière et se rassit aussitôt pour l'étudier.

Il s'agissait d'une demoiselle à peine plus jeune qu'elle et à la longue chevelure flamboyante. Les yeux clos et la posture désinvolte, cette dernière était assise sur un banc et fumait une cigarette qu'elle semblait déguster avec le plus grand plaisir. À chaque bouffée avalée, la cicatrice qui lui taillait la joue creusait davantage son visage bardé de taches de rousseur. Cicatrice que le Duc lui avait infligée quatre mois auparavant alors qu'il avait tenté de la tuer.

Un rictus s'esquissa sur ses lèvres. Blanche se demandait encore comment cette noréenne issue d'un milieu modeste avait réussi à se lier d'amitié avec sa jumelle Meredith. Plus troublant encore ; comment était-elle parvenue à devenir la chasse gardée du Baron von Tassle ? Était-ce le scandale provoqué par son père qui, en menaçant de les tuer tous deux, les avait finalement rapprochés ?

Ne souhaitant pas ressasser ces événements douloureux, la duchesse se leva afin de regagner son manoir. En passant devant la jeune rousse, elle s'arrêta et s'éclaircit la voix :

— Bonjour Ambre, dit-elle courtoisement.

Son interlocutrice sursauta et ouvrit ses yeux aux prunelles ambrées si caractéristiques.

— Bonjour mademoiselle Blanche, répondit-elle quelque peu embarrassée, je ne m'attendais pas à vous voir dehors, parmi la foule... pas après que...

Sa phrase demeura en suspens, elle baissa les yeux et écrasa nerveusement sa cigarette contre le banc.

— Après la déchéance de ma famille ? répliqua la duchesse d'un ton impérial. C'est ce que tu voulais dire ?

— Je ne voulais pas me montrer impolie.

— Ne t'inquiète pas, tu n'es pas la seule à penser que nous passons notre temps à nous morfondre. Et tu dois être l'une des seules personnes à qui je n'en tiendrai pas rancune de toute façon.

Ambre opina du chef.

— Comment va Meredith ?

La duchesse haussa légèrement les épaules.

— Plutôt bien, dirais-je. Je ne sais pas si elle t'a averti de la chose mais elle est fiancée au marquis Antonin de Lussac.

À cette affirmation, son interlocutrice se renfrogna et grogna. L'éclat de ses yeux paraissait se renforcer, devenant aussi intense que celui du médaillon en forme de chat viverrin qui ornait sa poitrine.

— Je m'en serais doutée, cracha-t-elle en serrant les poings, je ne sais pas ce qu'elle lui trouve franchement ! Ce n'est qu'un pervers, un manipulateur ! Il est abject, surtout lorsqu'il traîne avec l'autre abruti à lunettes !

— Tu n'es pas la seule à désapprouver ce choix. Je n'ai moi-même pas compris comment elle pouvait s'adonner à un homme tel que lui tout en sachant ce qu'il vous avait infligé à Anselme et toi-même.

— C'est à croire qu'elle aime les ordures et les hommes violents ! Après Charles, il lui fallait trouver à nouveau quelqu'un pour l'enfoncer encore plus ! S'il la fait souffrir je vous garantis que marquis ou pas je le trucide sur la place !

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