Les mouettes envahissaient la grande place de Varden dont le sol se recouvrait d'eau sur plusieurs centimètres. Ainsi, la place voyait son pavement jonché de crustacés et poissons qui se trouvaient piégés, tentant vainement de se dissimuler sous la maigre couche de vase. Les oiseaux marins se délectaient de ce repas si aisément disponible et plantaient leurs becs dans la chair blanche de leurs proies.
À l'inverse, les corbeaux préféraient porter leur dévolu sur les cadavres dont les corps balayés par le mouvement de la mare paraissaient s'animer. Ils formaient des pantins désarticulés et offrant aux spectateurs de la Mésange Galante une scène macabre et hypnotique.
Tous s'étaient regroupés dans le salon de l'étage, épargné par la vase qui tapissait l'intégralité du rez-de-chaussée, répandant un remugle nauséabond de poisson, atténué par les accents de café et de soupe que Bernadette venait de préparer dans la marmite suspendue au foyer.
Juste derrière la vitre masquée par les jalousies, Alexander guettait la place à l'affût du moindre mouvement. Il soupira puis contempla brièvement son reflet à travers la vitre. Son apparence était négligée, les quatre heures de sommeil qu'il avait réussi à s'octroyer se révélaient insuffisantes. Ses cheveux ébouriffés s'échouaient sur son pull bleu à col roulé largement trop grand pour lui. Tout en examinant la chevalière de Wolfgang, tenue au creux de sa main bandée, l'homme songeait à Ambre. Il fut tiré de ses pensées par son oncle, qui prit place sur la banquette.
— Comment allez-vous ? demanda le marquis.
Tout comme son neveu, Lucius affichait un état de fatigue avancé et buvait une boisson chaude, tenant fermement sa tasse de ses doigts entaillés.
— Ma foi, comme vous le savez, j'ai connu pire.
— Je ne m'attendais pas à ce qu'il s'obstine de la sorte, annonça-t-il en scrutant la chevalière, il n'aurait jamais dû se déplacer jusqu'ici, c'était du suicide dans son état, le venin de serpent ne pardonne pas.
Alexander approuva d'un signe de tête.
— Il cherchait son fils, cela pouvait se comprendre. Bien que je haïssais Mantis au vu de tout ce qu'il m'avait infligé, je ne pouvais m'empêcher d'être admiratif sur la façon dont il prenait soin de son fils. Comme quoi, même les pires d'entre nous peuvent être capables du mieux.
— Il est vrai que vous n'avez jamais connu une telle chose. Votre père était un fou. Un sadique et un égoïste comme rarement il m'ait été donné d'en voir. Je m'en suis sincèrement voulu de n'avoir jamais rien su percevoir sur la façon dont il vous traitait vous et vos domestiques. De ne rien avoir remarqué de la folie qui le rongeait au fil des ans jusqu'à lui faire perdre totalement sa lucidité et commettre les pires actes qui soient.
— Pourtant, mère l'aimait et avait su trouver en lui ce bonheur qu'elle recherchait. Je n'imaginais pas, petit, à quel point l'amour et la perte d'un être cher pouvaient à ce point nous rendre fous. Ce n'est que lorsque Désirée me fut enlevée que j'ai compris ce que mon père avait dû ressentir lors de la perte d'Ophélia.
Il se pinça les lèvres et frotta la paume de sa main valide.
— Je fus réjoui de sa mort, non pas finalement parce qu'il le méritait mais parce qu'elle venait de le libérer de ce supplice qui le consumait depuis longtemps. Ambroise avait eu raison de lui trancher la gorge ce soir-là. Même si d'ordinaire je n'aurais su cautionner un tel acte. Le meurtre ne résout jamais rien, hélas, il ne fait qu'empirer un esprit déjà bien tourmenté.
— C'était pourtant ce que vous vous apprêtiez à faire ce soir-là, sur les docks. Ne me dites pas que ce n'était pas un duel à mort que vous aviez organisé avec de Malherbes et Deslauriers en témoins. Si je n'étais pas intervenu, c'était l'un de vous deux qui tuiez l'autre. Et vous avez été assez fous pour oser prendre cette drogue afin d'en finir !
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Norden Anthologie
Mystery / ThrillerIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...