Pour la cinquième fois de la journée, Théodore se réveilla en sursaut. Les médicaments qu'Aurel lui avait donnés pour apaiser son esprit se révélaient inefficaces. Il n'avait de cesse de se retourner, transpirant à outrance. Dès que ses paupières devenaient closes, les cauchemars l'assaillaient. Il peinait à respirer, ressassant la disparition tragique de son père, tantôt transpercé par Friedz, tantôt agonisant par la morsure de la vipère.
Pour assombrir davantage ses songes, Blanche réapparaissait avec fulgurance, soumise entièrement à Friedz qui lui infligeait toutes sortes d'horreurs. Le marquis, impuissant et entravé par une cage invisible, ne pouvait la libérer de son emprise. Il regardait avec effroi sa promise implorante encaisser les assauts brutaux du capitaine, le corps souillé par cette énorme masse sombre sur laquelle un sourire tyrannique était visible, avant d'être achevée d'une balle dans le crâne qui le réveillait instantanément.
En sueur, il se redressa et s'adossa contre le mur, plaquant ses mains contre son visage aussi blanc que la literie. La réalité n'était pas plus enviable que les rêves et la douleur qui tiraillait le bas de son ventre accentuait son mal-être. Lors de son dernier sommeil, il aurait tout donné pour ne jamais se réveiller, songeant aux divers médicaments et plantes toxiques qui se trouvaient à l'infirmerie, si aisément accessibles, qui lui accorderaient une fin rapide.
De toute manière, qu'avait-il à perdre dorénavant ? Personne ne comptait plus pour lui et il ne comptait plus pour personne, c'était un constat implacable. Antonin s'était détaché de lui depuis longtemps déjà, trop occupé et investi dans sa relation avec la duchesse. Il en allait de même depuis que Diane et Victorien s'étaient mariés. Ces derniers temps, il ne lui restait plus que Blanche.
Théodore hoqueta et fondit en larmes. Il se leva avec lenteur et, tout en prenant soin de ne pas aggraver sa blessure, enfila sa veste, emprunte de l'odeur persistante de la rouquine. Il s'extirpa de la chambre et sortit prendre l'air. Dans les couloirs, les gens parlaient avec empressement et lui accordaient un regard désolé, empli d'une pitié bienveillante qu'il détestait recevoir.
Une fois dehors, il arpenta les jardins déserts, marchant sous les arcades noyées sous ce ciel gris. La pluie tombait dru, clapotant contre la toiture et dégoulinant le long des gouttières. Il s'accouda à un muret, juste devant la sculpture d'une licorne endormie. Puis il inspira une bouffée d'air frais et contempla le morne paysage, l'œil vague.
Un bruit étrange l'extirpa de ses pensées ; un choc assourdissant avait résonné sur le toit juste au-dessus de lui. Intrigué, Théodore leva la tête et entendit des pas. Une ombre s'effondra dans les jardins. En apercevant la créature dressée non loin de lui, le marquis écarquilla les yeux, pétrifié devant ce monstre de la taille d'un taureau.
Le prédateur, à l'apparence d'une charogne de lion décomposée depuis des mois, semblait tout droit sorti d'un horrible cauchemar tant la vision qu'il provoquait était irréelle, en dehors de toute conscience humaine. Une multitude d'entailles striait sa peau et une partie de ses tripes pendait en bas de son flanc. Il avait l'œil droit crevé tandis que l'autre était d'un blanc nacré, brûlé, comme tout le côté gauche de son visage couvert de cloques, exhibant sa chair brunie à nue jusqu'à l'os dont plus aucun poil n'était présent.
L'effroyable bête recrachait une quantité astronomique de sang, trop pour qu'il s'agisse uniquement du sien et une plaie béante lui traversait la mâchoire de part et d'autre, faisant s'égoutter un liquide blanchâtre mêlé de rouge. Pour achever ce sinistre tableau, son imposante crinière roussie se terminait en crins noirs carbonisés, dévoilant ses grosses oreilles dont l'une était à demi coupée.
Le félin se redressa tant bien que mal. Une de ses pattes robustes, aux muscles saillants, révélait ses tendons accrochés solidement aux os. Le monstre la plaquait contre lui, peinant à fouler le sol de son membre meurtri. Puis, haletant et le souffle rauque d'une bête à l'agonie, il marcha en direction du garçon, avançant à l'aveugle, les narines dilatées à l'extrême. À la vue de cette chose épouvantable, Théodore ne pouvait esquisser un pas, gisant stupide.
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Norden Anthologie
Mystery / ThrillerIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...