L'œil vague et l'esprit vagabond, Ambre rêvassait devant l'entrée du manoir, posée sur les marches de l'escalier s'ouvrant sur les jardins. Ses longs cheveux roux ondulaient à la brise, absorbant les rayons pourprés du soleil couchant, en écho aux pétales sanguins des roses trémières qui ornaient chaque côté de la façade, tranchés par la pureté liliale des fleurs de jasmin largement déployées en cette saison estivale. Une cigarette entre les doigts, elle décompressait après sa journée de travail à la Taverne de l'Ours, balayant du regard les vastes espaces verdoyants du domaine.
Au loin, Pieter rentrait les chevaux en compagnie d'Adèle. Reconnue officiellement comme mademoiselle von Tassle, la pupille du Baron s'amusait sur le dos d'Ernest, riant aux éclats devant le comportement fanfaron du vieux poney qui caracolait entre les buissons. Proche d'eux, Maxime quittait le potager, poussant péniblement une brouette chargée de plantes et de légumes terreux tout juste récoltés.
La jeune femme sentit une légère pression sur son épaule qui la sortit de sa rêverie. Elle tourna la tête et remarqua le corbeau à ses côtés. Amusée, elle sourit et caressa son cou duveteux. L'animal ébouriffa son plumage puis sauta entre ses cuisses et se mit à son aise. Anselme était devenu un corbeau de belle taille, au plumage lustré et à la patte gauche tordue. Ses iris noirs luisaient d'un intense éclat, témoignant de son intelligence et de sa personnalité d'autrefois.
Ambre était heureuse de revoir son fiancé. Même sous cette apparence, l'idée de l'avoir auprès d'elle la remplissait d'une joie douce-amère, car elle appréhendait de se retrouver dans cette grande demeure dans laquelle elle se savait étrangère. D'une certaine façon, elle se sentait captive de cet hôte intimidant et colérique dont elle supportait encore mal la présence quotidienne.
Sa cigarette terminée, elle l'écrasa à côté du cendrier mis à disposition sur le rebord des marches puis prit une seconde inspiration, laissant pénétrer dans ses poumons un air frais chargé d'embruns et d'essence florale.
À présent détendue, elle gloussa en voyant Adèle accourir vers elle, la mine rayonnante, un lys et ses souliers à la main. La petite sautillait, faisant tournoyer sa robe en mousseline bleue dont le bas était humide et taché de terre. Pieds nus, elle ne semblait nullement gênée par les graviers effilés de l'allée. Désirée, la chienne du Baron, jappait à ses côtés. La levrette au pelage sable fouettait sa queue avec vigueur et gambadait autour de sa camarade de jeu, manquant de la faire trébucher par ses mouvements aussi brusques que maladroits.
— Regarde Ambre ! s'exclama la fillette quand elle eut gravi les marches.
La cadette lui fit sentir la fleur puis, tout en s'asseyant à ses côtés, grattouilla le crâne plumeux du corbeau qui roucoula de plaisir. Contrairement à son aînée, Adèle appréciait sa nouvelle vie. Elle gardait ses habitudes, se rendant régulièrement à la plage aux phoques dans le vain espoir d'apercevoir ses parents et continuait d'aller à son école à Varden où elle avait ses amis.
Les deux sœurs restèrent silencieuses, leurs têtes posées l'une contre l'autre, écoutant le jacassement incessant des mouettes, bercées par le bruissement du vent contre les feuilles. À mesure que les minutes défilaient, le soleil déclinait et le ciel s'assombrissait, prenant une teinte violacée mêlée d'orange où quelques étoiles commençaient à émerger. L'aînée frissonna au contact de la morsure du froid et décida qu'il était temps pour elles de rentrer. Elle se leva et accompagna la fillette jusque dans sa chambre afin de la coucher.
Située à l'étage et s'ouvrant sur le jardin, la pièce était spacieuse et possédait une salle de bain privative. Il y avait un grand lit en bois enseveli sous une armada de peluches. Les draps soyeux sentaient une suave odeur de lessive et les oreillers en plumes d'oie se révélaient fermes et moelleux, si différents de leurs vieux coussins et de la couverture rêche dont elles se servaient autrefois. Elle disposait également d'une bibliothèque garnie de livres ainsi que d'une armoire dans laquelle de nombreuses tenues neuves étaient rangées.
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Norden Anthologie
Misterio / SuspensoIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...