Les odeurs étaient épouvantables dans cette grande ville grouillante de monde. Tractant de lourds tombereaux chargés de victuailles, des destriers attelés envahissaient les larges chaussées pour desservir les nombreux commerces qui se trouvaient à proximité.
Écœurée par l'air vicié, à forte senteur de sueur, de crottin mêlé de divers parfums floraux et boisés, Erevan grimaça. Hissée sur un âne qu'elle avait emprunté à l'un de ses voisins, elle avançait d'un pas hâtif en direction du centre-ville, s'attardant peu sur l'architecture en pierre blanche des imposantes demeures et bâtiments d'institutions qui se dressaient de chaque côté de l'avenue.
Elle zigzaguait entre les passants pressés dont certains la toisaient d'un air inquisiteur et proféraient des insultes à son égard. Soufflant d'exaspération, elle empoigna rageusement les brides, rongeant son frein afin de ne pas s'attirer d'ennuis. De ce fait, elle fit accélérer sa monture pour rejoindre Varden. Elle traversa la place de la mairie et prit une rue descendante, longeant les remparts où les miliciens de la garde d'honneur patrouillaient.
Au fil de la traversée, elle quittait les majestueuses demeures au profit de maisons mitoyennes, beaucoup plus étroites et exiguës, faites de colombages, de briques ou de pierres. Plus elle descendait, plus elle se sentait à l'aise parmi ces habitants issus de son peuple, vêtus plus modestement et surtout bien moins préoccupés par le physique atypique de la cavalière que ceux de la haute-ville. Dans une ruelle, elle mit pied à terre et attacha les rênes de sa monture à un anneau prévu à cet effet. Puis elle s'empara de ses sacoches et se rendit sur la place où le marché était établi.
Elle déambula sous les allées d'arcades, admirait les bannières des enseignes et furetait de boutique en boutique à la recherche des prix les moins onéreux. Son maigre porte-monnaie ne lui assurait pas les ressources nécessaires pour prendre des aliments en grande quantité ou même de qualité. Et elle était trop fière pour oser demander à son frère de lui céder des pièces. Ainsi, elle acheta un sachet de sel et de riz ainsi que des bocaux, ne pouvant s'offrir le luxe de se fournir en aliments frais céans ; elle garderait cette opportunité lorsqu'à son retour, elle rendrait l'âne à la ferme et emporterait pour l'occasion une cagette de légumes et de fruits tout juste récoltés comme elle le faisait jusque là.
Arrivée sur un étal bien fourni, la jeune femme se mordilla les lèvres à la vue des innombrables douceurs qui étaient exposées ; gâteaux, brioches et diverses sucreries côtoyaient épices, cacao et autres délices importés de Pandreden par transport maritime. Alléchée par le fumet de ces mets, elle se résolut à prendre du thé en vrac et du miel.
Ces derniers achats pulsionnels la délestèrent de ses ultimes pièces de cuivre. Chargée comme une mule, elle rejoignit son âne et remonta en selle pour aller rendre visite à son frère qui n'habitait qu'à quelques rues de là. Elle parqua sa monture dans un écrin de verdure faisant office de cour, laissant sans crainte ses vivres sur le dos de l'équidé, et frappa à la porte.
— Erevan ! s'exclama le frère tout sourire.
La mine joviale, il enlaça sa cadette de sa poigne solide, manquant de l'étouffer. Elle grogna mais ne dit rien et se laissa bercer par cette cajolerie qu'elle n'avait pas reçue depuis des semaines. Il défit son étreinte et la contempla longuement, posant sur elle ses yeux bleus larmoyants. Son frère avait encore grandi, sa carrure s'était étoffée, se rapprochant de celle de son père dont les traits du visage commençaient à devenir semblables. Sa barbe avait enfin poussé. Désormais fournie, elle cerclait sa mâchoire pour monter jusqu'à sa longue crinière blonde tranchée de mèches rousses qu'il attachait en catogan.
— Tu n'as pas l'air au mieux, marmonna-t-il d'un air soucieux. Maman m'a dit pour Selki. Je voulais passer te voir mais te connaissant je n'ai pas osé venir.
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Norden Anthologie
Gizem / GerilimIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...