Les aranéens, l'élite et l'hydre

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Ambre marchait en direction de la bibliothèque. Elle arpentait d'un pas alerte les allées désertes, noyées sous les vapeurs brumeuses et éclairées par les flammes vacillantes des becs de gaz. Ceux-ci brûlaient de part et d'autre de la chaussée, projetant des ombres derrière les arbres et esquissant au sol des formes sinueuses qui semblaient se mouvoir tels des serpents.

Vêtue chaudement de son long manteau rouge et de son épaisse paire de gants, elle se déplaçait silencieusement, balayant des yeux chaque recoin à la recherche d'un mouvement suspect provenant d'une venelle annexe. Agitée, elle plaquait sa main contre sa poitrine, manquant de s'entailler les doigts tant ils étaient crispés contre son médaillon.

Il n'y avait pas grand monde dehors à cette heure, hormis quelques attelages tractant leurs charrettes remplies de marchandises afin de ravitailler les commerces de la haute-ville. Des chats et chiens errants, d'une maigreur affolante, parcouraient les rues à la recherche de nourriture, accompagnés par des armées de rats. Cette vermine perfide s'engouffrait dans les moindres failles, semant le chaos dans les maisons en rongeant tout ce qui se trouvait à portée d'incisives. Leurs yeux étaient d'un noir inquiétant et leur pelage brun parsemé de croûtes. Certains étaient si énormes que seuls les chiens osaient s'attaquer à eux en leur broyant la tête d'un coup sec.

Ambre les appelait cyniquement « aRATnéens ». Elle était ravie de son jeu de mot qu'elle trouvait fort à propos tant les attitudes entre ces viles créatures et les « éminentes personnalités élitistes » possédaient des ressemblances ridiculement troublantes.

Cinq mois s'étaient écoulés depuis l'incident et la jeune femme était à nouveau dominée par ses angoisses, redoutant une autre crise voire un énième élan d'ardeur qui l'obligerait à se transformer contre son gré. Ces pensées néfastes hantaient l'entièreté de ses nuits, se révélant comme une véritable psychose. Ses accès de colère noire étaient d'autant plus accentués par le climat politique et social actuel, particulièrement instable et oppressant.

Sur le qui-vive, elle continuait d'avancer et remarquait que de nombreuses bâtisses avaient les carreaux cassés. Les façades de certaines d'entre elles étaient saccagées et couvertes d'affiches de propagande. Même le pavement du sol avait été ôté par endroits afin de servir de projectile, provoquant des nids de poule sur la chaussée.

Ce sabotage avait le don d'agacer les cochers. Dorénavant, ceux-ci peinaient à avancer et il n'était plus rare de voir des embouteillages lors des heures de pointe, dues à d'éventuels accidents causés par une marchandise mal ficelée ou par la casse d'une roue, retardant considérablement l'achalandage des boutiques et des bars.

À cause de ces retards récurrents, les commerçants de la haute-ville grinçaient des dents, peinant à satisfaire les exigences de leur noble clientèle. Pour finir, des taches de sang jonchaient quotidiennement le sol grisâtre. Elles apparaissaient une fois le soir venu et le coloraient d'un rouge écarlate, sans que personne ne sache réellement à qui celui-ci appartenait. Jusqu'alors, aucun cadavre n'avait été découvert dans les rues sinistrées.

Néanmoins, des disparitions étaient à déplorer, des marins principalement, le port de Varden étant devenu le théâtre de cette agitation.

La ville était plongée dans une guerre civile depuis près de trois mois. Le maire von Tassle venait de mettre un frein aux relations commerciales entre Norden et Providence, limitant les voyages maritimes à seulement deux par an au lieu de six. Ils servaient uniquement à récupérer les espions restés sur la Grande-terre et à ravitailler l'île des dernières denrées nécessaires avant la fin définitive du commerce, prévue pour dans douze ans, à la fin de son mandat. Après ce délai, il faudrait que le peuple Nordien vive en autosuffisance, en totale autarcie.

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