La machination

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Ambre ouvrit un œil. Sa tête bouillonnait et une atroce douleur la lançait à l'arrière du crâne. Dehors, il faisait encore nuit, la lune gibbeuse auréolant le ciel de sa clarté opaline. Bien que sonnée, la jeune femme tenta de se repérer tant bien que mal. Elle se trouvait dans les hauteurs, la face léchée par le vent, et entendait le roulement de la houle claquer contre les rochers.

Autour d'elle s'ouvrait une estrade faite de pierres agencées en axe circulaire et dont les statues disposées sur le pourtour la fixaient de leur regard vide. Elle déglutit en comprenant qu'elle était au centre du théâtre d'Eden et tenta de bouger ses membres engourdis. En tournant la tête, elle aperçut sa petite sœur endormie à ses côtés, lovée contre Ernest, enveloppée d'une épaisse couverture.

— Je vois que vous êtes réveillée, fit une voix d'homme.

Une silhouette nimbée par le voile obscur vint à sa rencontre et se baissa à sa hauteur.

— Pardonnez mon coup brutal tout à l'heure. J'y ai peut-être été un peu fort en vous frappant.

Elle leva les yeux et tenta d'analyser son interlocuteur dont la voix lui était familière. Elle reconnut le jeune anthropologue et fiancé de Meredith.

— Par pitié Charles, ne me dites pas que vous êtes mêlé à toute cette histoire, vous aussi !

— Je crains que vos soupçons soient avérés.

— Mais pourquoi faites-vous ça ? s'insurgea-t-elle. Comment osez-vous commettre ces actes horribles ! Tous ces enlèvements, ces pauvres enfants !

— Ce n'est pas si simple et ce n'est pas non plus un plaisir pour nous de nous adonner à ces actes.

— Mais vous vous rendez compte que vous commettez des choses impensables et abominables ! J'espère que Meredith n'est pas au courant de votre plan macabre !

— Oh, non ! rétorqua-t-il avec vigueur. Meredith est absolument innocente dans cette histoire. La pauvre est même victime de mes charmes et de mes actions.

Elle le regarda avec accablement, heurtée par ces propos.

— Vous voulez dire que vous vous êtes servi d'elle ?

— En quelque sorte, oui.

— Mais elle vous aimait Charles ! Elle vous aimait et s'inquiétait pour vous ! Et vous, vous n'êtes resté en sa compagnie que pour vous servir de sa notoriété, je présume ?

— Hélas, je dois avouer qu'il y a du vrai dans ce que vous dites. J'ai dans un premier temps tenté de séduire la demoiselle. Cela n'a pas été bien compliqué au vu de sa situation car elle cherchait désespérément la compagnie de quelqu'un qui s'intéressait à elle. Elle a de suite été sous le charme lorsque j'ai commencé à poser des questions à propos d'elle et de ses envies.

Il passa une main dans ses cheveux et ricana :

— Dans un premier temps, je me suis amusé d'elle. Cette pauvre fille était prête à tout pour me voir flatter son égo. Son plus grand défaut l'a alors enfermée dans un amour aveugle et elle ne tarissait pas d'éloges en mon intention. Ça m'a fait beaucoup rire au départ. J'avais l'impression d'être un marionnettiste et je pouvais faire de ma petite poupée tout ce que je désirais. Je n'avais qu'à claquer des doigts et à lui faire un compliment pour qu'elle s'exécute et me dévoile tout ce qu'elle savait sur l'île et ses habitants. C'est une jeune femme intelligente et une mine d'or d'informations. Cela n'a pas été bien compliqué d'en apprendre plus sur les personnalités de cette île.

Ambre grogna et le regarda avec dégoût.

— Et puis, poursuivit-il, sans trop savoir pourquoi, j'ai commencé à m'attacher à elle. Plus je la côtoyais et plus je voyais la femme admirable qu'elle était. Sa personnalité atypique a finalement réussi à me désarmer et j'ai commencé à être envoûté. Son sourire et ses yeux rieurs ont par la suite hanté mes nuits. De marionnettiste, je devenais pantin et, au bout d'un moment, c'était elle qui tirait les ficelles de mes sentiments. L'ennui est que j'avais un but bien précis, une mission de la plus haute importance qu'il me faut exécuter. J'ai donc, à regret, pris soin de m'éloigner au point de disparaître. Elle me distrayait trop dans mes projets et commençait à se poser des questions quant à mes intentions. Je n'avais pas d'autre choix que de partir.

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