Le cavalier anonyme

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Le mois de juin arriva. Ambre était submergée par le travail et laissait souvent Adèle rentrer seule après le déjeuner. De ce fait, la fillette devenait de plus en plus autonome. Après l'école, elle passait une grande partie de son temps à jouer avec ses amis et se rendait à la plage, espérant chaque jour revoir sa maman sur le rivage. Seulement, le phoque blanc ne venait que rarement.

L'aînée restait parfois à la taverne une fois son travail achevé. Anselme avait gardé l'habitude de venir la voir au moins une fois par semaine après ses horaires afin de boire un verre en sa compagnie et de discuter avec elle en toute légèreté. Il lui racontait les détails de son quotidien. Notamment qu'il travaillait en tant que clerc de notaire et gagnait tout juste de quoi subvenir financièrement à ses propres besoins.

En effet, le Baron tenait à ce que son fils soit indépendant et ne demeure pas dans l'oisiveté malgré la richesse. N'ayant pas une très grande ambition et n'étant pas enclin à vouloir gagner plus qu'il ne lui en était nécessaire pour vivre, le jeune homme avait choisi ce métier après deux années d'études à la prestigieuse université de la Licorne.

Par conséquent, il connaissait les membres des familles aisées qu'il ne supportait guère, les jugeant imbus de leur personne et de leur statut social. Néanmoins, il s'entendait bien avec certains camarades issus de milieux plus modestes. En dehors de son travail, il passait ses journées dans ses appartements à étudier ou lire, même pendant les beaux jours. Il n'aimait pas spécialement la lecture mais utilisait cette activité pour tuer le temps.

Lors des soirées mondaines, il restait en retrait. Il abhorrait les mœurs sociales desdites soirées où tous se guettaient tels des vautours à la recherche d'une proie. En ces occasions, bon nombre d'hommes exhibaient leur fortune, leur savoir et leur pouvoir. Ils se pavanaient tels des cerfs et écrasaient impunément le moindre concurrent. Les femmes, quant à elles, déployaient leurs atours dans des costumes d'apparat des plus somptueux, coiffées et toilettées à la perfection. Elles minaudaient et ne manquaient aucune opportunité pour charmer ces messieurs, tels des paons redressant avec panache leur sublime plumage.

Anselme détestait cette mascarade, d'autant que la foule le rendait nerveux. Étant le fils adoptif du Baron, il était courtisé, autant par les hommes qui voulaient l'avoir comme allié que par les femmes, intéressées pour être son épouse. Celles-ci ne tarissaient pas d'éloges à son sujet, vantant sa finesse d'esprit et sa beauté. Ce comportement l'horripilait car il savait pertinemment que son physique n'était pas des plus avantageux et qu'au vu du peu de mots prononcés en soirée, il leur était impossible d'esquisser un portrait sur sa personne.

Sans être laid, le garçon n'était pas des plus engageants ; sa silhouette élancée était jugée trop maigre par les critères de beauté actuels et son visage, à l'éternel regard triste, inspirait davantage à de la pitié qu'à de la sympathie. Ajoutez à cela un corps déformé par sa jambe tordue et il ne lui restait plus que le titre pour séduire ces dames. Il avait la chance cependant de pouvoir compter sur la richesse de ses habits et son visage harmonieux qui, lorsqu'il daignait sourire, dévoilait une fossette qui le rendait séduisant.

De temps à autre, il se rendait en déplacement avec son père, au contact de la population, dans le but de donner un peu de sa fortune aux habitants les plus modestes et de recueillir leurs témoignages. Il précisa à son amie que la générosité d'Alexander von Tassle était avant tout un acte politique. Le maire était élu grâce aux résultats électoraux des grands électeurs. Ce vote avait lieu tous les douze ans. Le Baron savait que s'il voulait l'emporter, il devait compter sur les voix des représentants du peuple noréens et du petit peuple aranéen plutôt que sur celles de la haute société, fervents partisans du Duc von Hauzen.

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