L'hiver venait de s'installer, le givre et le brouillard régnaient en cette période où seuls les corbeaux osaient risquer un bec dehors, à la recherche de carcasses pour assouvir leur appétit carnassier. En proie à leur défoliation saisonnière, les arbres exposaient leur tronc à vif contre les vents glacials qui balayaient l'île du matin au soir.
Au fil des jours, Ambre avait appris à mieux gérer ses émotions. Elle était désormais exécrable envers tout le monde, y compris sa cadette qu'elle rechignait à voir. Ce comportement bouleversa l'enfant qui ne parvenait pas à comprendre la froideur qu'éprouvait sa sœur à son égard et la distance qu'elle imposait entre elles. Pour ne pas la faire souffrir, sa garde fut momentanément confiée aux parents de Ferdinand. De ce fait, elle avait envoyé une lettre à Anselme afin qu'il l'aide à subvenir financièrement aux besoins de sa demi-sœur.
Quelques jours après cela, la jeune femme apprit par son patron que le Baron payait grassement le couple pour ce service. Elle ne savait pas si elle devait se réjouir de cette nouvelle. D'un côté, elle était rassurée que sa Mouette passe l'intégralité de son temps à Varden, préservée de la menace du loup avec une famille aimante pour veiller à son bien-être. De l'autre, le Baron avait la mainmise sur la petite et par conséquent sur elle.
Un matin de fin décembre Ambre se réveilla et partit en direction de la cuisine afin de se préparer un thé. Sa santé avait repris en vigueur, les sentiments de rage et de tristesse qui la rongeaient tantôt s'étaient estompés. Elle prit une cigarette et la porta à ses lèvres, la dégustant avec plaisir tandis qu'elle lisait Le Naturae Librae Noréeden, un livre sur la faune de Norden emprunté à la bibliothèque.
Elle ne lisait plus par divertissement mais pour se renseigner sur les comportements animaliers ainsi que sur les transformations noréennes, espérant trouver des indices au sujet de la louve. Pour approfondir, elle avait pris l'habitude de lire les journaux quotidiennement.
Alors qu'elle terminait sa page, elle fut sortie de sa lecture par un bruit de sabots qui résonnait non loin et semblait se rapprocher. Elle passa la tête par la fenêtre et écarquilla les yeux en apercevant Anselme sur Balthazar accourir au grand galop. Arrivé près de l'écurie, le cavalier descendit de son cheval. En deux mois de séparation, son physique avait perdu en volume et son teint blême rehaussait l'éclat rougi de ses yeux cernés de sillons noirs. Il avança péniblement vers elle, pantelant.
— Bonjour Ambre, dit-il sans aucun entrain.
— Que me veux-tu ? lança-t-elle d'une voix cinglante.
Elle croisa les bras, un rictus sur les lèvres. Il s'arrêta, surpris par son ton menaçant.
— Je voulais te voir, savoir comment tu allais, c'est tout.
— C'est tout ? Tu viens jusqu'ici, désobéissant à ton père, uniquement pour me demander comment je vais ?
Elle planta ses iris ambrés dans ceux du jeune homme.
— Eh bien ! Comme tu peux le voir, je suis toujours vivante ! Que ça plaise à ton père ou non !
Il grimaça, prêt à fondre en larmes. Il avança timidement de quelques pas, s'arrêta juste devant elle puis baissa la tête en guise de soumission. Son cœur se serra et ses membres tressaillirent à la vue de son annulaire dépourvu d'alliance. Alors qu'il avançait une main pour aller cueillir la sienne, elle la repoussa aussitôt.
— Ambre, murmura-t-il d'une voix étranglée, je suis terriblement désolé, si tu savais ! Je m'en veux tellement !
Une larme roula sur sa joue. Elle lui saisit le poignet et l'emmena à l'intérieur afin qu'il retrouve ses esprits. Dans la cuisine, elle le fit asseoir sur une chaise tandis qu'elle s'appuya sur l'évier, face à lui, totalement impassible devant son lâcher-prise.
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Norden Anthologie
Mystery / ThrillerIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...