Les yeux clos, l'esprit encore évadé dans les nimbes brumeux, Erevan sentit un linge humide se poser sur son front. L'étoffe fraîche, douce au toucher, était agréable. Les sens en éveil, elle prit une profonde inspiration qui lui brûla la trachée et toussa rauque. Une odeur s'immisça dans ses narines, empreinte de valériane et de verveine.
— Maman ? parvint-elle à articuler d'une voix enrouée.
Elle tenta d'ouvrir un œil mais elle fut incapable de discerner quoi que ce soit à travers ses rétines abîmées où tout demeurait flou et ne voyait qu'un dégradé grisâtre dépourvu de toute forme identifiable. Un gémissement s'extirpa de sa bouche alors qu'elle tournait la tête avec lenteur, tiraillée par une décharge électrique au niveau de la nuque.
— Ne bouge pas mon enfant, répondit une voix féminine, le ton grave. Reste tranquille.
— Où suis-je ?
— Chez toi, je t'ai retrouvée allongée sur la plage, inconsciente. J'ai même pensé que tu étais morte au vu des vibrations que j'ai pu ressentir juste avant de t'avoir rejointe.
Des réminiscences lui revinrent par flash, inondant sa mémoire de pensées confuses et éparses. L'image de sa sœur apparut à son esprit. Le cœur tambourinant ardemment, elle déglutit et demanda tout bas :
— Et Selki ?
Contre toute attente, un couinement lui répondit, suivi par la sensation étrange d'un coup de langue porté sur sa joue, laissant une traînée mouillée et gluante conjuguée d'un désagréable remugle de vase.
— Ta sœur est à tes côtés, sous sa nouvelle forme.
Les larmes vinrent aux yeux de la jeune femme qui hoqueta face à cette fatalité dont elle se sentait partiellement coupable au point qu'elle manquait de s'étrangler tant elle peinait à respirer. Encore bien fébrile, elle posa une main frêle contre sa poitrine et tenta de faire entrer dans ses poumons comprimés un mince filet d'air. La crise passée, elle écarquilla les yeux avant de fondre en larmes car, à son grand désarroi, elle se rendit compte que son médaillon n'était plus.
Comme pour la rassurer, Selki se pressa contre elle, plaçant sa grosse tête liliale et pelucheuse sur son torse. Le phocidé commença à ronronner, produisant un grondement sourd qui fit vibrer le lit entier. En voyant cet amas de blancheur présent juste sous ses yeux, Erevan fronça les sourcils. Puis, trop épuisée, elle s'effondra sur son coussin et se rendormit dans la foulée. Sa sœur resta lovée auprès d'elle. L'animal nicha sa tête dans son cou tandis que la mère, après avoir fait glisser la couverture pour les préserver toutes deux du froid de la nuit, s'en alla discrètement rejoindre l'extérieur.
Dehors, elle fit quelques pas en direction de la mer, laissant à chaque passage l'empreinte de ses pieds sur le sable jonché de galets, et s'arrêta devant le tapis d'écume. Pas un bruit hormis le faible bruissement des feuilles ainsi que le roulement de la faible houle se faisait entendre. La nature était endormie, plongée dans le noir, éclairée par le halo scintillant des étoiles qui mouchetaient la voûte céleste où un croissant de lune brillait. Le reflet de l'astre ondoyait légèrement sur la surface de l'élément.
Sans un mot, Medreva s'agenouilla. La frange de ses habits écrus et le bout de sa ceinture de cuir épousaient les ondulations des vagues. Ses longs cheveux bruns tressés, garnis de plumes et de perles, se frottaient contre ses joues fardées de larges bandes noires où des larmes roulaient, mettant en valeur ses iris céruléens cernés de fines rides que l'approche de la quarantaine révélait.
Elle ferma les yeux et inspira. Lors de l'expiration, elle rouvrit ses paupières et redressa la tête pour contempler l'horizon, là où le ciel et la mer se confondaient sans qu'aucune frontière ne s'esquisse, puis tourna la tête pour venir observer la sculpture du serpent. Avec une dévotion louable, chargée d'émotions, elle posa une main sur son cœur et s'inclina.
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Norden Anthologie
Mister / ThrillerIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...