Stratégie infructueuse

5 1 0
                                    

— Touché ! cria Léandre à l'attention de ses amis.

Percuté d'une balle en plein poitrail, le cerf continua sa route, tentant vainement de fuir ses assaillants en s'enfonçant dans les fourrés. Claudiquant et les naseaux dilatés, il se frayait un chemin dans cette nature sauvage à la végétation luxuriante. Pour effacer sa trace et espérer les semer, il rasait les ronces épineuses et traversait les cours d'eau.

Un des garçons sonna le clairon et les chiens excités s'élancèrent à la poursuite de l'animal blessé, sous l'œil vif et alerte des cinq cavaliers qui lancèrent leur cheval au galop afin de les suivre. Perchés en haut des arbres feuillus, les oiseaux observaient la scène tandis que lapins, renards et autres rongeurs rentraient dans leurs terriers, terrifiés par les jappements et les claquements de sabots des montures engagées en pleine charge. Les détonations retentissaient en écho à travers l'immense forêt.

Le cerf, vacillant et hors d'haleine, ralentit le pas et s'écroula à terre une fois passée l'enceinte de pierre qui encerclait la vieille cité noréenne de Meriden.

— Voilà que la bête part se terrer pour mourir dans son domaine ! railla Léandre en mettant pied à terre.

Les quatre autres cavaliers l'imitèrent et le suivirent. Devant le portail, fait de deux troncs d'arbres ornés d'un corbeau gravé et d'inscriptions runiques, les chiens aboyaient à s'égosiller. Puis ils rentrèrent la queue entre les pattes et, les oreilles basses, se mirent à couiner, n'osant profaner ce lieu sacré, le fief de la Shaman Medreva.

— Voilà que les chiens se défilent ! annonça l'un des membres du groupe. Ils chouinent comme des chiots !

— Que fait-on ? demanda un troisième.

— On peut toujours aller y jeter un œil. L'animal est blessé et je tiens à récupérer mon trophée ! affirma Léandre. Presque plus personne ne vit ici de toute façon et nous sommes armés. Nous ne craignons absolument rien.

— Ne devrions-nous pas plutôt faire demi-tour ? proposa timidement Alexander. C'est un cerf que nous avons chassé, un animal noble et le symbole du peuple noréen. Si la Shaman nous croise en train de le tuer nous allons avoir de sérieux ennuis. On dit qu'elle est considérée comme une semi-divinité.

Éric de Malherbes passa un bras par-dessus son épaule et lui adressa un sourire malin.

— Quoi ? T'as peur mon petit baron ? Les Shamans ne sont qu'une légende, rien de plus que du folklore noréen pour expliquer leur don de transformation. Ils sont simplement farfelus, c'est tout.

Le groupe pénétra dans le sanctuaire, marchant d'un pas lent dans ce dédale d'habitations en pierre recouvertes de lierre. Arme en main et aux aguets, ils suivaient les traces de sang laissées par la bête agonisante. Celle-ci gisait morte, allongée sous les pommiers dont les fruits rougeoyants trônaient avec fierté. Léandre prit son couteau et se baissa, désireux de ramener la tête du cervidé.

Mais avant qu'il ne le touche, une voix calme emplie de fermeté résonna :

— Lâchez ce cerf et quittez cet endroit !

Les cinq hommes demeurèrent cois, désarçonnés par la vision de cette femme qui s'avançait vers eux d'une démarche impériale et dont le physique était des plus particulier. En effet, la dame d'âge mûr était vêtue d'étranges apparats avec cette superposition de peaux tannées grossièrement assemblées. Ses cheveux cendrés attachés en tresses étaient parsemés de plumes et de perles. Deux bandes noires fardaient ses joues pâles, rehaussant l'éclat de ses yeux bleus perçants. Enfin, un médaillon de bois en forme de hibou ballottait à son cou, accroché par une fine cordelette. La dame s'arrêta juste devant eux.

Norden AnthologieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant