Les loups et l'agneau

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Le dos plaqué contre le torse de son cavalier, Ambre commençait à ressentir les secousses de la monture engagée en plein galop sur les routes pavées. Elle avait un haut-le-cœur chaque fois que le destrier se braquait ou changeait le rythme de sa charge, se frayant un chemin dans ces interminables allées cabossées. Il sautait les obstacles avec aisance, la foulée puissante, claquant farouchement le sol de ses larges sabots ferrés. Ce bruit tonitruant s'accompagnait des tintements du collier et les cliquetis métalliques des fers qui rongeaient les poignets de la captive.

Arrivé à Iriden, Armand tira la bride et mit sa monture au trot, désireux de ne pas éveiller de soupçons, et souhaitant éviter de percuter un cavalier dans ces ruelles étroites desservies par une myriade d'allées perpendiculaires. L'homme tenait les rênes de sa main gantée et utilisait sa main droite pour maintenir sa protégée à la taille. Il ressentait au creux de sa paume mouillée son rythme cardiaque et son souffle s'intensifier jusqu'à redevenir normal.

Voilà plus de dix minutes qu'ils trottaient dans ces rues tranquilles, noyées sous cette forte pluie, où de nombreux cadavres se décomposaient. Le pavement demeurait glissant, d'un rouge délavé par les eaux ruisselantes, faisant vomir les rigoles et régurgiter toute sorte de déchets. Des miasmes de charognes, de bois calciné et d'égouts envahissaient l'espace, rendant l'air absolument infect à respirer.

Ne pouvant supporter ces relents putrides, les gens avaient majoritairement désertés ces quartiers que les Charognards n'avaient pas encore explorés faute de membres actifs et d'accessibilité. Néanmoins, le tumulte continuait à plusieurs rues de là. Des coups de feu et des cris résonnaient en écho, étouffés par les clapotis des gouttes et le vent qui soufflait par bourrasques.

Les soldats et civils armés de Laflégère patrouillaient. Armand avait dû s'arrêter plusieurs fois en chemin, alpagué par des miliciens au service du défunt comte. Ces derniers leur barraient la route et les questionnaient. Beau parleur, le capitaine au service du marquis Desrosiers parvenait à les persuader de les laisser passer. Ambre, quant à elle, regagnait peu à peu sa motricité, pouvant à nouveau bouger la tête, étranglée par le collier. Lorsqu'elle parvint à ouvrir sa bouche, elle passa sa langue sur ses lèvres et réussit, après un lourd effort, à tourner la tête.

— Comment te sens-tu minette ?

Pour toute réponse, elle plissa les yeux et grogna.

— Oh je sais que tu n'es pas contente mais ça ne sert à rien de me regarder avec ces yeux-là. Ce n'est pas moi qui ai décidé de te sauver et de t'escorter jusqu'à Eraven. Je me serais bien passé de ce service !

Pour la provoquer, il passa une main dans ses cheveux. Il tira, fit pivoter sa tête et déposa un baiser sur sa tempe.

— On a bientôt quitté la ville ! Dans moins d'une heure, si tout se passe bien, nous arriverons à destination. Alors sois sage je te prie, je vois que les effets de la drogue se dissipent et je serais pas étonné que tu retrouves ta maîtrise d'ici peu. Il serait fâcheux que tu me compliques la tâche en te tortillant comme une anguille pour te libérer.

La voyant chanceler, incapable de garder l'équilibre, il reposa sa main contre son ventre pour la maintenir.

— Surtout, si tu as envie de vomir préviens-moi, que je ne souille pas mon cheval ou mes mains. Le remède que je t'ai donné est plutôt puissant, ce n'est pas dit que ton système digestif le supporte. J'ai surévalué les doses, au vu de ta résistance bien supérieure à celle de tes confrères. Et je ne tiens absolument pas à ce que tu te transformes. T'es pas véloce ni spécialement puissante, mais tu encaisses très bien les chocs. Là au moins tu es inhibée et comme une noréenne portant un enfant, tu es incapable de pouvoir te transformer. Et ce, tant que les effets ne se seront pas dissipés. Tâche juste de rester conscience, je ne veux pas que ton esprit vrille au risque que ça te provoque un arrêt cardiaque en pleine rue.

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